Pourquoi le design est important

Sunniva Geuer

Comment vous y prenez-vous pour intéresser le visiteur dans une exposition de portraits miniatures dans un espace de 2 000 pieds carrés? Ou pour raconter l’histoire d’une école à salle unique construite par les descendants d’esclaves venus d’Oklahoma en Alberta au début du XXe siècle? Et pour installer une exposition interactive sur chacun des 544 buts marqués au cours de sa carrière par Maurice Richard? Et que fait-on avec environ 2 000 ampoules d’éclairage anciennes dans une exposition sur les ressources de la terre qui aborde également le sujet du changement climatique? 

Vous ne savez pas vraiment? Un designer peut vous être utile. Il aide les clients à déterminer et à préciser ce qu’ils espèrent réaliser. Le design, c’est rendre des idées explicites, penser, analyser et réaliser des dessins détaillés complets, des présentations graphiques et des devis. Les designers connaissent les technologies les plus récentes, les méthodes de construction et les matériaux qui sont sur le marché. Ils peuvent aider à trouver les meilleurs entrepreneurs pour chaque tâche et surveilleront la fabrication et l’installation du projet. Un bon designer mettra également en œuvre un processus d’ingénierie de la valeur pour vous assurer d’obtenir le meilleur produit au moindre coût, de quelque nature qu’il soit.

Il vaut mieux impliquer le designer une fois que le personnel du musée a décidé du thème de base de l’exposition, mais avant d’aborder dans le détail la meilleure manière de raconter chaque histoire. Les designers emploient différentes méthodes pour présenter le contenu de manière captivante.

Des présentations d’artefacts, panneaux graphiques, illustrations et photos aux éléments interactifs modernes (tant mécaniques que numériques), reconstitutions et modèles à l’échelle, en passant par les projections, les gobos, les éléments audiovisuels, les spectacles de lumières, les commandes d’œuvres d’art, les graphiques au sol et la réalité augmentée — les possibilités et les combinaisons sont innombrables. Un bon designer d’exposition vous aidera également à évaluer pour le design un aspect et des fonctionnalités déterminés par le choix d’une palette de couleurs, de polices et de styles de design qui fassent en sorte que l’espace offre globalement une expérience cohérente.

Tous les musées ne disposent pas de budgets importants leur permettant de produire chaque exposition, mais ça ne devrait pas importer. Un projet récent faisait appel à des technologies minières virtuelles actuellement créées pour cartographier tous les types de mines. Cette information aurait pu être présentée sous forme de texte et d’images, mais nous avons eu le sentiment que le visiteur jouirait d’une meilleure expérience si elle était plus interactive. Nous avons envisagé de construire la réplique d’une mine, où le visiteur pourrait pénétrer, mais des problèmes budgétaires nous ont forcés à adopter une approche virtuelle à l’intérieur d’une structure simple évoquant l’entrée d’une mine. Le visiteur peut maintenant aller dans l’espace que nous avons conçu et utiliser un « manche à balai » lui permettant de « voyager » virtuellement à travers une mine de son choix.

Dans un autre projet, nous avons travaillé avec l’Arnprior and District Museum à élaborer, concevoir, fabriquer et installer une nouvelle exposition sur l’histoire de l’exploitation forestière dans la région. C’est un petit musée au budget restreint, et nous avons donc travaillé avec le personnel à un document sur le contenu, et des bénévoles ont rédigé et traduit le texte. Nous avons emprunté des vitrines d’exposition à un grand musée, réalisé des dessins à l’échelle des artefacts de façon à pouvoir les regrouper de façon sensée, et nous avons ensuite produit un ensemble de dessins indiquant où tout se trouverait au sein de l’exposition, y compris les artefacts, les vidéos, les accessoires, les panneaux de texte et les étiquettes. Cela n’a demandé que quelques jours. C’est donc une entreprise peu coûteuse, et les bénévoles se sont référés à ces dessins pour monter l’exposition et installer les éléments graphiques et les artefacts dans les vitrines.

Si votre budget est encore plus serré que celui dont nous disposions pour ce projet et que vous avez le sentiment qu’un peu d’aide serait la bienvenue en matière de design, contactez un designer et invitez-le pour quelques heures de consultation avant de vous lancer dans votre projet. Un bon design n’est pas nécessairement coûteux et le résultat vaudra bien la petite somme que vous devrez débourser en amont pour obtenir de bons conseils créatifs.

Il est parfois difficile d’expliquer pourquoi un bon design est si important pour le processus de création d’une exposition, mais c’est bien le cas. Trouvez un excellent designer qui a de bons antécédents et une expérience des musées, et qui vous écoutera. Vous constaterez que le processus se déroulera mieux et que le résultat sera convaincant et créatif. Vous aurez produit une expérience exceptionnelle que les gens voudront vivre.

Paul Rand s’est exprimé de façon à la fois concise et poétique :
« Concevoir, c’est beaucoup plus que de simplement assembler, commander, ou même réviser : c’est ajouter valeur et signification, éclairer, simplifier, clarifier, modifier, honorer, dramatiser, persuader, et peut-être même amuser. Concevoir, c’est transformer la prose en poésie. » — Paul Rand

Aventures en design
Je vous connais par cœur

En 2011, notre compagnie s’est vu accorder un contrat pour concevoir une exposition itinérante de portraits en miniature pour le Musée du portrait de Bibliothèque et Archives Canada, Je vous connais par cœur.
Alors que nous travaillions au concept, un collègue qui voyageait en Europe a visité une exposition sur les portraits en miniature. La décision d’exposer les miniatures de cette façon, alignées une rangée après l’autre avec les étiquettes en dessous, était légitime s’il s’agissait de montrer dans cette exposition ce qui a dû être une collection très nombreuse et impressionnante, mais il y en avait trop. Et surtout, cela niait l’importance de chaque artefact.

Le conservateur de Je vous connais par cœur nous rappelait que ces peintures minuscules de proches ont été créées avant l’apparition de la photographie — bien avant les égoportraits, et bien avant Snapchat et Instagram. Compte tenu de la nature intime des artefacts, chaque portrait a eu droit à un espace généreux, avec des supports individuels comme pour des bijoux précieux, et chaque image était exposée selon l’angle de vue optimal, sous des luminaires spécialement conçus.

Pour les cloisons, on a choisi des couleurs foncées et sourdes, et la lumière ambiante dans la salle était baissée, pour que le visage de chaque personne semble rayonner d’une douce lueur, invitant le visiteur à regarder de plus près. Sur de minces rampes de lecture, le court texte était éclairé de manière à ne pas interférer avec la lumière illuminant les objets. Le plan de sol prévoyait assez d’espace pour que les visiteurs puissent prendre leur temps et examiner chaque visage avec soin, comme devaient le faire les propriétaires d’origine il y a des années. Le visiteur pouvait s’approcher assez pour étudier chaque portrait, et suffisamment pour remarquer les marques d’usure sur l’étui en cuir qui avait servi à transporter le portrait, là où le propriétaire l’avait manifestement ouvert souvent pour contempler le visage d’un enfant perdu. Le visiteur prenait conscience de l’importance de chacun des minuscules portraits et comprenait que chacun d’eux ait pu être porté près du cœur du propriétaire originel.

Grandes guerres. Grandes femmes.

L’exposition du Musée canadien de la guerre Grandes guerres. Grandes femmes. était composée de plusieurs sections entourées par un couloir curvilinéaire. En longeant ce mur courbe, le visiteur découvrait une série d’histoires personnelles, d’images et d’objets émouvants placés dans des vitrines encastrées dans le mur à tous les quelques pieds. Ces histoires, qui ont été documentées et superbement écrites par le personnel du musée, nous racontent comment les femmes ont supporté l’angoisse, la peine et la perte afin de contribuer à l’effort de guerre, suscitant l’émotion du visiteur alors qu’il se déplace dans l’espace.

Une musique et un éclairage soigneusement choisis le long de ce mur enrichissaient l’expérience. Il était important que l’exposition soit conçue de façon à ce que cette expérience hautement chargée d’émotion soit intime. Sa conception contribuait à créer un moment où le visiteur s’identifiait au sujet, ce qui aurait été impossible si les objets avaient été présentés de façon moins intime, ne permettant pas au visiteur de se sentir à l’aise dans le ressenti de ses émotions.

Danika Grenier, journaliste à Tourisme Ottawa, a rapporté son expérience de cette exposition :
« Alors que je regardais un morceau de dentelle de plus de 62 ans, des larmes ont commencé à rouler sur mes joues… À côté de moi, deux visiteurs déambulaient en reniflant doucement et en s’essuyant les yeux. »

Retour aux re-sources

L’exposition Retour aux re-sources, conçue pour Ingenium, comprenait un module sur les changements climatiques mettant l’accent sur l’extraction de carottes de glace glaciaire par des scientifiques dans le but de recueillir des données sur les changements climatiques. Au départ, nous voulions présenter une véritable carotte de glace glaciaire dans un congélateur placé au sol, mais nous sommes arrivés à la conclusion que cela ne donnerait pas une idée juste de l’importance du sujet, mais seulement de la taille de l’échantillon. Nous avons donc suggéré de placer plutôt un glacier en train de fondre au milieu du module afin que l’effet soit plus saisissant, et l’équipe a accepté. Nous avons élaboré et construit un mur glaciaire de dix-sept pieds de haut, devant lequel était projetée une vidéo animée spécialement produite pour l’occasion.

Le même musée nous a demandé si nous pouvions utiliser une collection de près de deux mille ampoules électriques anciennes quelque part dans la salle, et nous avons accepté, en dépit du fait que nous n’avions pas la moindre idée de la façon dont on pourrait s’en servir. Ces ampoules, qui avaient été données au musée de nombreuses années auparavant, étaient conservées depuis dans des boîtes. Le conservateur était d’avis que les visiteurs avaient le droit de les voir. Nous avons donc décidé d’utiliser ces artefacts pour en faire une œuvre artistique. Les ampoules, ainsi que 500 diodes électroluminescentes DEL, ont été suspendues sur une grille placée au plafond. Le visiteur peut choisir une des quatre animations proposées en appuyant sur un bouton. Les DEL s’allument alors en différentes séquences en formant différent motifs. Sans l’utilisation inventive du design et de l’art, ces ampoules ne seraient sans doute jamais vues, ou au mieux seraient présentées sur des rayonnages où le visiteur ne verrait que d’interminables rangées d’objets, et elles ne contribueraient en rien à la narration ou à l’expérience de l’exposition. M

Sunniva Geuer
Sunniva Geuer est la directrice de Bouwdesign, une des firmes de design s’étant mérité l’an dernier un Prix d’excellence de l’AMC pour les nouvelles salles d’Ingenium, le Prix d’excellence de l’AMC dans la catégorie Patrimoine culturel en 2018, ainsi que le Prix d’histoire du Gouverneur général pour l’excellence dans les musées, pour l’exposition Empreintes de pas — Une marche à travers les générations. Elle nous livre ici ses réflexions sur le rôle essentiel des designers, et nous présente quelques-uns de ses projets de design préférés.

Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro mai/juin 2019.