Collections photographiques :
Intervention en cas de dégât des eaux

Les dégâts des eaux survenant dans une collection peuvent être d’origines diverses, de la canalisation qui fuit à la crue de la rivière. La quantité et la propreté de l’eau affectant la collection varient grandement d’une situation à une autre. Ce type d’événement a une grande incidence sur les collections photographiques qui sont, de manière inhérente, très sensibles à l’humidité.

Dans les premières heures suivant l’inondation, le taux d’humidité relative est élevé et peut atteindre les 100 %. Il va engendrer le gondolement des photographies sur papier et le gonflement des couches images qui vont adhérer aux matériaux en contact. Les moisissures peuvent se développer sous 48 heures. Ce sont des champignons microscopiques qui se nourrissent des matériaux organiques, notamment de la gélatine contenue dans les photographies. Par conséquent, les collections touchées par un dégât des eaux présentent un fort risque de perte d’information — par dissolution de la couche image, développement des moisissures, ou dissociation de la photographie et de son contenant — voire une destruction complète.

L’objectif d’une intervention de sauvetage est de sauvegarder la collection, en limitant les dommages pouvant être engendrés par une intervention inadaptée. Celle-ci se déroule en plusieurs parties : le constat de la situation, la planification et l’organisation de l’intervention, le traitement des photographies touchées et le bilan.

Constat de la situation
Dans le cas d’un sinistre de grande ampleur, il est très important pour la sécurité des intervenants, d’attendre l’autorisation des équipes de sécurité avant de rentrer à l’intérieur du bâtiment. En effet, à la suite d’une inondation importante, la structure et/ou le système électrique du bâtiment peuvent avoir été endommagés. De plus, dans certains cas, les eaux d’inondation peuvent être contaminées par des bactéries ou des produits chimiques.

Une fois l’entrée sur le site autorisée, la première étape est de bien documenter la situation en prenant des notes et des photographies afin de faire des choix réfléchis quant à la démarche à suivre, mais également pour les réclamations auprès des assureurs.

Il faut relever le type et la quantité de photographies endommagées afin de pouvoir définir des priorités de traitement. En effet, certains matériaux photographiques sont très sensibles à l’humidité et à l’immersion dans l’eau et doivent être traités en priorité. De manière générale, une photographie présentant déjà des altérations est plus susceptible d’être dégradée qu’une photographie en bon état. C’est par exemple le cas des tirages précédemment moisis ou des films sur nitrate ou acétate de cellulose en cours de dégradation.

Il est capital de réagir rapidement en faisant appel à un restaurateur dès que le dégât est constaté, afin de limiter l’étendue des dommages. La vitesse de l’intervention ne doit cependant pas se faire aux dépens d’une planification adaptée ni d’une réalisation précautionneuse. Le choix du plan d’intervention dépend de la collection, y compris des techniques photographiques présentes, de la quantité touchée, ainsi que de leur valeur au sein de la collection. Il dépend aussi des ressources disponibles sur le plan de l’espace, du personnel et du matériel. Il est important de définir un plan d’intervention réaliste en fonction des moyens disponibles afin d’éviter les pertes ou dommages supplémentaires engendrés par une intervention confuse, tardive ou trop poussée.

Organisation de l’intervention
La personne responsable de l’intervention doit avoir l’expérience et les connaissances des effets des conditions environnementales sur les objets imbibés d’eau. Elle doit travailler avec les différents intervenants ayant des spécialités complémentaires : les responsables de la collection qui la connaissent le mieux, les restaurateurs, qui peuvent former le personnel à la manipulation et au traitement des objets imbibés d’eau, le personnel de sécurité, les ingénieurs en bâtiment, les électriciens, les plombiers, etc. Il est important de définir le rôle de chaque intervenant et de nommer les responsables pour les différents domaines d’intervention afin de limiter la confusion.

Dans un premier temps, il est nécessaire d’avoir une équipe dédiée à la sécurisation des espaces pour déblayer les zones touchées et les voies d’accès, mais aussi s’assurer de la sécurité des collections endommagées ou non. Cette action s’accompagne d’une gestion des conditions ambiantes. En effet, pour éviter le développement des moisissures, il est important d’abaisser rapidement la température et l’humidité relative dans les zones concernées par l’inondation, et de bien ventiler les espaces afin de prévenir la stagnation de l’air. Attention cependant à ne pas contaminer d’autres zones que celles originellement touchées. Pour cela, il faut isoler les parties contaminées des parties non contaminées afin d’éviter la dispersion des spores.

De manière concomitante, un second groupe peut organiser les équipes, préparer l’espace de sauvetage dans une zone non humide, et rassembler les matériaux nécessaires.

Une fois les espaces sécurisés, il est possible de trier les photographies en différents ensembles, en fonction du type de traitement à réaliser. Les œuvres doivent être séparées selon trois catégories : celles mises à sécher à l’air libre, celles qui doivent être démontées puis séchées à l’air libre, et celles qui seront congelées.

Cette équipe doit être responsable de la documentation de l’opération et de la localisation de chaque objet. En effet, le système de classement de la collection va être bouleversé par l’opération de sauvetage, il est donc primordial de relever la localisation de chaque élément afin de pouvoir réorganiser la collection une fois traitée.

Enfin, les équipes chargées du traitement de la collection s’occupent du transport des œuvres de la zone inondée à la zone de traitement et du traitement en lui-même. L’objectif étant de sauver un maximum de la collection dans des conditions qui limitent les coûts de restauration par la suite.

Traitement
La méthode de sauvetage la plus adaptée pour les photographies est le séchage à l’air libre. Cependant elle nécessite beaucoup de temps, d’espace et de ressources. En fonction du volume de photographies endommagées et des ressources, il n’est pas forcément possible de tout faire sécher sous 48 heures, qui est la durée maximum permettant d’éviter le développement des moisissures. Il est alors conseillé de congeler certaines photographies afin de gagner du temps pour organiser le sauvetage. Certaines techniques photographiques ne peuvent pas être congelées sous peine d’être endommagées de manière irréversible, elles sont donc à faire sécher à l’air libre en priorité (voir le Tableau).

Les photographies imbibées d’eau sont très fragiles, il est donc indispensable de les manipuler de façon particulièrement précautionneuse, dans des bacs ou sur des supports rigides, pour éviter les déchirures. La couche image des photographies ne doit en aucun cas être touchée.

Les photographies doivent être sorties de leurs pochettes avant traitement. Il est nécessaire de ne pas dissocier les informations présentes sur le contenant et l’objet.

Nettoyage : Lorsque les collections sont touchées par des eaux souillées, il est préférable de nettoyer les photographies dans l’eau propre et froide avant de les sécher ou de les congeler, car la boue ou les débris peuvent pénétrer dans les matériaux. Le nettoyage est une étape complexe et délicate, qui ne peut être appliquée à toutes les techniques de photographie. Il doit être entrepris par du personnel formé à cet effet.

Séchage à l’air libre : Les photographies sont placées, couche image vers le haut, sur des grilles ou sur des matériaux absorbants, tels que des buvards, des serviettes en papier, des papiers journaux non imprimés, à changer régulièrement à mesure qu’ils absorbent l’humidité. Les œuvres montées sous cadre doivent être décadrées. Si la photographie est collée au verre d’encadrement, ne pas essayer de les décoller et laisser sécher avec la photographie sur le verre. Dissocier les tas de photographies si cela est possible.

Congélation : Les photographies doivent être placées dans des sacs en polyéthylène (type Ziploc®) avec un intercalaire antiadhésif (papier ciré ou siliconé) entre chaque photographie. Les sacs peuvent être rassemblés dans des bacs, et transportés dans un camion frigorifique pour congélation sur place ou transport vers le local de congélation.

La congélation permet de gagner du temps et de préparer le séchage à l’air libre des collections une fois que les ressources matérielles et humaines sont disponibles. Les collections doivent être décongelées par petits groupes afin de s’assurer du séchage complet sous 48 heures.

Bilan
Une fois l’intervention terminée, il est possible de chiffrer le pourcentage de la collection touchée et d’estimer les besoins en restauration afin de faire une requête auprès des assureurs. Cette étape permet également de faire le bilan sur le déroulement de l’intervention afin de pouvoir améliorer la démarche en cas d’un nouveau dégât des eaux. Ces informations doivent être rassemblées dans un rapport écrit afin de garder une trace de l’événement pour l’histoire de la collection.

Conclusion
Chaque intervention de sauvetage est différente. Il n’existe pas de méthode universelle qui convienne à toutes les situations, car l’organisation du sauvetage dépend de l’ampleur et de l’origine du dégât, des collections touchées et des ressources disponibles.

Le constat initial de la situation est primordial, car il permet de mettre en place un plan d’intervention adapté à la situation. Une intervention rapide et soigneuse va permettre d’éviter le développement des moisissures et de limiter les dégâts causés à la collection. Le bilan final est une étape à ne pas négliger afin d’apprendre de chaque situation et de se préparer au mieux pour la suite.

Le meilleur moyen de limiter les dommages reste la prévention, afin de réduire au maximum le risque de dégât des eaux, en préparant un plan d’urgence avec une charte organisationnelle, en faisant l’acquisition de certains matériaux nécessaires à l’intervention, en identifiant par l’étiquetage les procédés photographiques, ou en choisissant des matériaux de conditionnement protégeant de l’humidité.


Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro mars/avril, 2018.