Contre vents et marées

Vanda Vitali, Ph. D.

Au cours des derniers mois, le monde entier a vécu une période fort éprouvante, et notre communauté muséale nationale et internationale n’y a pas échappé.

La pandémie nous a contraints d’adapter notre comportement et nos pratiques. La fermeture des musées, l’adoption des mesures de protection et la distanciation physique ont modifié la façon dont nous interagissons et socialisons. Elles ont aussi eu des répercussions sur notre travail. Cette crise a touché les musées dans toutes les facettes de leur fonctionnement — leurs façons d’accueillir les visiteurs, de mettre en œuvre leurs programmes, de mener leurs recherches, d’organiser leurs présentations et expositions, de prendre soin de leurs collections ou de communiquer avec leurs collègues, leur public et le reste du monde.

La dépression économique provoquée par la pandémie a eu des répercussions considérables sur les budgets à tous les paliers. Et la pandémie elle-même en a eu sur les musées. Nombre de nos institutions se sont retrouvées en grande difficulté financière. Certaines ont dû licencier des employés de façon définitive, voire fermer leurs portes à jamais. De nombreuses institutions ont dû faire des compressions ou réduire leur programmation. D’après les rapports parallèles publiés en mai par l’UNESCO et ICOM pour présenter les résultats d’un sondage réalisé auprès de 1 600 musées et professionnels du secteur issus de 107 pays, 90 % des musées dans le monde ont été forcés de fermer temporairement leurs portes. De plus, selon les estimations, un musée sur huit dans le monde cessera ses activités de façon permanente. Cette crise généralisée s’est poursuivie au moment où le monde entrait en récession, ce qui a réduit directement et indirectement la capacité des musées à générer des revenus et à recueillir des fonds. Le financement d’urgence de quelque 53 millions de dollars offert par le gouvernement du Canada a apporté un soutien à court terme, mais il reste à analyser les répercussions à long terme et à y répondre.

L’indignation des citoyens inspirée par la brutalité policière et manifestée particulièrement par le mouvement « Black Lives Matter » [La vie des Noirs compte] a obligé la société à réexaminer sa propre réflexion et ses propres actions. Par exemple, on a demandé à quelques musées d’accueillir certains monuments. En raison de ces événements et d’autres considérations de justice sociale, en particulier celles renvoyant aux populations autochtones, les musées canadiens doivent revoir leurs pratiques, leurs politiques ainsi que leur utilisation et leur interprétation des collections de façon générale. Pour transformer l’indignation des citoyens en mouvements qui susciteront des changements majeurs et nécessaires et des résultats concrets, il faut du temps, des efforts concertés et de nombreux compromis.

Le Conseil international des musées a récemment affronté sa propre crise : son incapacité de s’entendre sur une définition actualisée du terme « musée ». Un consensus s’impose à l’échelle mondiale quant à la définition qu’il convient de donner à ce terme au XXIe siècle, à plus forte raison dans un contexte où les changements s’accélèrent et où le monde évolue très rapidement.

Pour surmonter ces crises, il faudra beaucoup de réflexion et d’efforts concertés, mais aussi certaines actions de la part du gouvernement. Le ministère du Patrimoine canadien devra se pencher sur le financement de base accordé aux musées afin que ces institutions sociales et éducatives essentielles demeurent résilientes face aux crises et qu’elles puissent offrir plus de contenu en ligne. Il sera également primordial d’élaborer des budgets et des lois pour faire progresser la question de la justice sociale.

L’accélération du changement social, alimentée par de multiples enjeux concurrents, exige différents types de dialogue, la collecte d’information, une vision créative et un examen critique de la mission et des priorités de nos institutions. Les musées devront revoir leurs nombreuses pratiques et activités. Il nous faudra peut-être réformer les normes si nous voulons être en mesure d’affronter notre nouveau monde en mutation, façonné par de puissantes technologies nouvelles. Les musées canadiens devront s’unir pour proposer une nouvelle politique-cadre nationale des musées propre à renforcer le secteur en unifiant et en ciblant sa mission et son travail. Partout au pays, nos musées devront faire preuve d’imagination pour créer des programmes tournés vers l’avenir, qui seront jugés à l’aune de leur pertinence et de leur incidence sur le plan social pour la poursuite de leur rôle crucial ainsi que pour leur réponse aux besoins de la collectivité. Nous sommes entrés dans un monde nouveau et nous devons être proactifs et créatifs. Les musées doivent préserver leur statut d’institutions les plus dignes de confiance.

Cette crise épique, nous la traverserons tous ensemble. Pour la surmonter, il nous faudra mettre à profit les leçons que nous apprenons — c’est une occasion à ne pas rater. M