Un groupe d’étudiants expérimente. Science World. Photo — Taehoon Kim

Élargir notre portée pour le XXIe siècle

Tracy Calogheros 

Nous travaillons tous dans une industrie exceptionnelle ; nous cultivons et approfondissons nos connaissances sur l’art, l’histoire, la culture, la langue et la science (oui, la science, parce que la culture scientifique est profondément ancrée au Canada) dans un pays progressiste qui aspire à atteindre un triple résultat : le bien-être individuel, la durabilité environnementale et la santé économique. J’ai toujours œuvré au sein d’une institution interdisciplinaire à The Exploration Place, mais c’est mon mandat à titre de présidente du conseil d’administration de l’Association canadienne des centres de sciences qui m’a vraiment fait comprendre à quel point nous avons de la chance d’avoir une industrie muséale comme celle du Canada : reconnue, inclusive et en constante évolution.

Des gens profitant d’une visite au Discovery Centre. Photo — Mark Santos

Nos musées détiennent notre mémoire collective et servent d’inspiration pour les leaders de demain ; après tout, pour apprendre de nos erreurs, il faut s’en souvenir. Il est intéressant de noter qu’un adage similaire, mais axé sur l’avenir, a guidé une grande partie du développement des centres de sciences canadiens au cours des 50 dernières années. En effet, l’idée est que les enfants ne se réveillent pas tout bonnement à dix-huit ans pour décider de devenir ingénieurs ou astronautes s’ils n’ont pas côtoyé ces sciences dès leur plus jeune âge. Pour que le Canada continue d’être un chef de file mondial dans les domaines de la science, de la recherche et de l’innovation, nous devons avoir des jeunes qui peuvent penser de manière critique et créative, et qui poursuivent des carrières dans le domaine des STIAM (science, technologie, ingénierie, arts et mathématiques). Le style d’apprentissage expérientiel, marqué par l’ouverture du Centre des sciences de l’Ontario (CSO) en 1969, est devenu la référence en matière d’engagement public et d’investissement éducatif préscolaire dans les STIAM, avec des résultats visibles dans le monde entier.

Selon un sondage national mené par le CSO il y a quelques années, les centres de sciences seraient la source d’information la plus crédible pour les Canadiens, devant les universités et les chercheurs scientifiques. Ce niveau de confiance du public a été durement gagné et s’est avéré essentiel tout au long de la pandémie, car nous avons tous cherché à trouver des réponses à nos questions sur l’épidémiologie, la propagation du virus et son éventuelle éradication. Nos centres ont été parmi les premiers à fermer leurs portes à l’échelle nationale et à passer à une méthode de diffusion en ligne ; un exemple qui a ouvert la voie à d’autres organisations en dehors de l’industrie muséale, et qui les a incitées à faire de même. Par comparaison, le Canada a très bien réussi à obtenir du grand public qu’il respecte les mesures nécessaires pour nous protéger tous. Cela est dû en grande partie au fait que le niveau de culture scientifique est assez élevé dans la population. Avec plus de 10 millions de visites par an dans les centres de sciences du Canada, il n’est pas déraisonnable de tracer un parallèle entre notre investissement national dans ces centres et la capacité de nos citoyens à saisir et à appliquer les conseils de nos meilleurs professionnels de la santé.

Des participants de la communauté apprennent à programmer grâce à Ozobots lors de l’évènement communautaire sur la technologie à l’Exploration Place de Prince George. Photo — The Exploration Place

Le Canada adore ses scientifiques ; nous en produisons beaucoup qui font non seulement progresser leur domaine, mais qui servent également d’inspiration aux générations futures. Célèbre astronaute canadien, le commandant Hadfield cite régulièrement ses visites au CSO alors qu’il était enfant comme l’étincelle l’ayant poussé à orienter sa carrière en aérospatiale. La gouverneure générale Julie Payette a été la première Canadienne à visiter la Station spatiale internationale et à y travailler, devenant plus tard la directrice générale du Centre des sciences de Montréal avant d’occuper son prestigieux poste au sein du gouvernement. La relation entre nos scientifiques et les centres de sciences est bidirectionnelle : ceux qui y ont trouvé l’inspiration pour faire progresser la science canadienne reviennent dans les centres de sciences pour, à leur tour, inspirer les innovateurs de demain.

Un jeune participant lors d’un camp de jour d’été au centre scientifique du Saskatchewan.. Photo — Saskatchewan Science Centre

Le défi de notre industrie, alors que nous traversons cette pandémie, est de tirer des leçons de nos succès et de nos erreurs, et d’appliquer ces leçons aux autres défis collectifs auxquels nous sommes confrontés : la réconciliation avec les Premières Nations au Canada, le changement climatique, le racisme systémique et les enjeux qui nous sont encore inconnus, comme les futures pandémies. Nous avons le talent et les outils nécessaires dans nos musées, galeries, centres de sciences, zoos, aquariums et jardins botaniques. Nous cultivons une relation avec pratiquement tous les Canadiens par l’intermédiaire de nos centres et les Canadiens nous ont dit qu’ils nous faisaient confiance. Nous avons la responsabilité de nous attaquer à ces menaces à notre survie à tous les niveaux et de façon exhaustive, afin d’aider les Canadiens à affronter cet avenir incertain avec confiance et en connaissance de cause.

Le Canada a toujours défini ses musées de manière large, en encourageant la pollinisation croisée entre différentes organisations et différents partenaires dans une foule de domaines, dont l’éducation, la politique et la communication. C’est là que réside l’ingrédient secret de notre succès. En refusant de permettre la politisation de la science, en respectant le rôle de la culture et en guidant l’innovation par l’expérience historique, l’industrie des musées canadiens a traversé avec succès les deux premières décennies de ce nouveau siècle au profit de tous les Canadiens. Et maintenant, quelle orientation devons-nous prendre?

Démonstration scientifique au centre de découvertes. Photo — Mark Santos

Notre monde est de plus en plus connecté, et le coronavirus en profite à notre détriment. Nous avons la possibilité d’allier cette interconnectivité mondiale et la confiance dont nous jouissons auprès de notre public à notre désir déclaré d’accroître la pollinisation croisée entre les domaines de pratique. Nous espérons ainsi trouver des solutions uniques et efficaces aux menaces existentielles que nous réserve collectivement le présent siècle. Il y a des leçons à tirer de notre histoire et de l’inspiration à puiser dans nos arts, et nos musées sont les forums publics tout indiqués pour explorer ces deux aspects. Alors que nous envisageons notre réponse à l’engagement du public dans un monde post-COVID, il est impératif que nous assumions notre rôle en tant que lieux sécuritaires propices aux discussions difficiles. Nous devons rassembler les gens, virtuellement et en personne, de manière à ce qu’ils soient physiquement en sécurité et émotionnellement outillés, sans pour autant éviter les conversations délicates que nous devons avoir. Nous devons aider les Canadiens à comprendre la rhétorique et le « tribalisme » qui s’expriment pleinement dans les médias et chez les dirigeants politiques du monde entier et à y renoncer, en les encourageant plutôt à mettre de côté leurs différences au nom du bien collectif. Pour pouvoir offrir ce leadership de manière crédible, toutefois, nous devons relever le même défi au sein de notre industrie et de nos différentes pratiques.

L’Association des musées canadiens (AMC) est un leader de longue date qui a réussi à intégrer la valeur de nos organisations dans la culture canadienne et la politique gouvernementale, même si elle n’a pas toujours été ouverte, au sein même de son industrie, aux idées et aux approches différentes. Aujourd’hui, l’AMC s’efforce d’évoluer, d’inclure nos institutions de grande envergure dans la défense de ces idées et approches, dans leur planification stratégique et dans leur célébration. Pour ma part, je suis enthousiaste quant au rôle que nous avons tous à jouer dans les décennies à venir. Nous avons vraiment de la chance de vivre là où nous vivons et de travailler pour des organisations qui sont inextricablement liées à notre avenir mondial. L’humanité a déjà connu des moments effrayants ; il suffit de consulter nos archives pour constater qu’avec du temps, de la compassion et des données, tout finit par passer. Les musées canadiens (selon la définition large et inclusive de ce terme) ont l’occasion unique de repenser leur(s) rôle(s) dans cet avenir et d’assumer une position de chef de file alors que les Canadiens tournent leur attention vers ces autres défis clés sur lesquels nous travaillons tous ensemble. M

Tracy Calogheros est présidente de l’Association canadienne des centres de sciences et présidente-directrice générale de The Exploration Place, un musée et centre des sciences à Prince George, en Colombie-Britannique.