Organisations émergentes : L’essor et la défense des communautés de professionnels émergents des musées en ligne

Max Bakony

De g. à d. : Denise Tenio, Dominica Tang, Chloe Houde et Megan Sue-Chue-Lam au panel de désintoxication du Musée. Photo — Jaime Meier, Association étudiante pour la maîtrise en études muséales

Lorsqu’Alejandra Paton a intégré le secteur muséal, elle suivait un programme d’un an en administration des arts et en gestion de la culture au Collège Humber, en plus d’occuper trois emplois différents dans des musées, dont un stage non rémunéré.

« Pour pouvoir faire ce stage non rémunéré, je devais occuper ces deux autres emplois. Cela montre bien le privilège qu’il faut avoir pour commencer dans le secteur, car ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre d’effectuer un stage non rémunéré, affirme Alejandra Paton. Si ce n’est pas possible pour vous, il faut travailler plus fort pour vous tailler une place. Alors oui, ce n’était pas de tout repos. »

En tant que professionnelle émergente du secteur muséal, Alejandra Paton a également fait face à d’autres obstacles, comme le fait d’être une femme qui tente de gravir les échelons dans une industrie dominée par des hommes blancs, ainsi que d’être conceptrice et illustratrice professionnelle sans diplôme d’études supérieures spécialisées en muséologie.

Elle affirme que les pratiques d’embauche dans les musées accordent la préférence aux personnes ayant fait des études supérieures, comme une maîtrise ou un doctorat, ce qui entraîne des conséquences pour la représentation : « Si nous voulons que notre secteur soit plus diversifié et présente des perspectives différentes, nous devons aller au-delà des approches traditionnelles pour trouver les personnes et les perspectives que nous voulons. »

Capture d’écran de notre Zine-Making Workshop & Wellness Discussion avec Melina Mehr, qui a été organisée dans le cadre de la série de conférenciers sur la diversité et l’inclusion dans les sciences de l’information. Dirigé par le Groupe de travail sur les intérêts en matière d’accessibilité et élaboré en collaboration avec le Groupe de travail sur la diversité de la Faculté de l’information de l’Université de Toronto. Photo — Megan Sue-Chue-Lam, Museum Professionals of Colour

Les quatre membres fondatrices se sont réunies après 16 mois d’écart!. Photo — Tristan Tenio

Elle poursuit : « Ainsi, il peut s’agir de faire appel à des personnes qui travaillent en marge du secteur muséal, peut-être pas aux conservateurs et archivistes habituels, mais à des personnes qui évoluent dans le domaine des arts et qui peuvent également contribuer au travail dans les galeries d’art et les musées. »

Alejandra Paton fait maintenant du bénévolat sans relâche avec Jennifer Ford, membre du comité du Group of Ontario Emerging Museum Professionals (GOEMP), afin d’actualiser le changement qu’elle aurait aimé voir plus tôt dans sa carrière. L’une des plus grandes priorités du comité est la transparence salariale.

« Quand on aime ce qu’on fait, on est parfois prêt à travailler pour des cacahuètes, dit Jennifer Ford. Et puis ça crée un cycle de raisonnement pour d’autres directions [de musées] qui voient que vous avez pu embaucher une personne à un coût moindre et qui veulent faire de même. »

« Plus nous mettons [le salaire] au premier plan, plus les gens s’y intéresseront et seront plus compétitifs à l’avenir, ce qui permettra d’améliorer et de sécuriser les salaires dans le secteur. »

Résultats du sondage mené par le GOEMP auprès de 83 professionnels du secteur muséal ontarien au sujet de leur statut d’emploi actuel pendant la pandémie de COVID-19. Graphique fourni par Jennifer Ford du GOEMP.

Comme la plupart des secteurs, l’industrie muséale a eu du mal à offrir un travail stable aux professionnels émergents, surtout dans les dernières années et pendant la pandémie de COVID-19.

Selon un sondage mené par le GOEMP de novembre à décembre dernier auprès de professionnels des musées principalement émergents, plus de 20 % des répondants ontariens étaient sans emploi, près de 60 % ont demandé une aide financière gouvernementale et moins de la moitié occupent actuellement un poste à temps plein.

Certains domaines du secteur muséal sont frappés encore plus durement.

« J’ai seulement entendu parler de trois postes financés par Jeunesse Canada au travail (JCT) qui étaient propres au domaine de la conservation au cours de la dernière année », affirme Jill Baron, vice-présidente du Comitédes restaurateurs émergents.

« Il n’y a essentiellement aucun poste de débutant ni aucune possibilité pour les restaurateurs émergents d’acquérir de l’expérience, affirme la présidente du comité, Raene Poisson. Compte tenu de cette situation et des effets de la pandémie, nous pensons qu’il y aura une perte importante de restaurateurs qui suivront ce parcours professionnel. »

Selon Mark Poirier et Nathan Hasselstrom, les gestionnaires du programme JCT de l’AMC, cela se reflète dans les dossiers du programme. Mark Poirier mentionne ceci : « Il n’y a pas d’organisme de prestation au sein du programme JCT qui se consacre spécifiquement au financement des emplois en conservation et, pour l’AMC, les demandes de postes en conservation sont très rares, même dans le volet des stages pour une carrière vouée au patrimoine (CVP) à plus long terme ».

Nathan Hasselstrom ajoute ensuite qu’un petit quota du financement des stages de CVP est réservé aux postes dans le domaine des sciences de la conservation et encourage les musées ayant des occasions pour les restaurateurs émergents à postuler, car cela peut augmenter vos chances de faire approuver le financement.

À cet égard, des groupes de partout en Amérique du Nord comme le GOEMP et le Comité des restaurateurs émergents ont pris des mesures plus dynamiques que jamais au cours de la dernière année.

Et cette tendance s’observe également sur le plan international. Par exemple, le National Emerging Museum Professionals Network (NEMPN, un organisme sans but lucratif des États-Unis) a débuté il y a plus d’une décennie, mais a évolué considérablement au cours de la dernière année. En juillet dernier, l’organisation a connu un changement de direction, avec l’arrivée de Sierra Van Ryck deGroot et de Sierra Polisar comme coprésidentes pour rebâtir l’organisation et redorer son image.

Avec plus de 40 sections à travers les États-Unis, Sierra Polisar affirme que la pandémie a contribué à unir leur groupe dans l’ensemble du pays.

Présentation des conférenciers (de G à droite Wendy Ng, J’net Ayaykwayaksheelth, Just John) lors de notre événement inaugural, le panel de désintoxication du Musée. Ce panel a été présenté en collaboration avec l’Association étudiante pour la maîtrise en études muséales. Photo — Jaime Meier, Association étudiante pour la maîtrise en études muséales

« Nous avons fait de tous les membres de notre conseil d’administration des présidents régionaux. Ainsi, les sections de partout au pays ont en quelque sorte leur propre porte-parole pour assurer une bonne communication », explique Sierra Polisar.

Travailler à l’unisson est quelque chose qui, selon Sierra Polisar, leur a été très utile puisque cela leur a fourni des lignes directrices et des conseils sur la façon de réussir, et le jumelage de différentes sections leur a permis de créer ensemble des programmes pour les professionnels émergents des musées.

Bien que la plupart de leurs activités aient été revitalisées grâce à une direction, une représentation et une coopération plus claires, Sierra Polisar reconnaît qu’une grande partie de ce pour quoi ils se battent ne changera pas du jour au lendemain. Il s’agit notamment de mettre l’accent sur la transparence salariale, sur laquelle un ancien président du NEMPN a commencé à travailler il y a plus de huit ans.

« Le domaine doit être revu depuis un certain temps, et je pense que la transparence salariale n’est qu’une étape du processus. Quand les gens pensent faire carrière dans le domaine muséal, l’une des premières choses qu’ils se font dire est qu’ils vont sûrement aimer l’emploi et le domaine, mais qu’ils ne feront pas d’argent », affirme Sierra Polisar.

Pourtant, comme cela a été mentionné précédemment, la transparence salariale est loin d’être le seul problème à résoudre dans l’industrie muséale, comme on a pu le constater avec la pandémie actuelle. C’est pourquoi de nouveaux groupes comme le Museum Professionals of Colour (MPOC) de l’Université de Toronto s’unissent pour lutter contre le racisme systémique dans le secteur.

« L’idée de former ce groupe est née d’un besoin de nous soutenir en tant que petite minorité de personnes issues d’un groupe racialisé au sein de notre programme d’études muséales composé principalement de personnes blanches, explique la cofondatrice du MPOC, Megan Sue-Chue-Lam. Pendant ma première année, je me sentais très isolée et je ne me voyais pas vraiment représentée dans le programme ou dans le domaine. De plus, je me demandais pourquoi nous apprenions à travailler avec des groupes minoritaires sans les entendre directement. »

Après un trimestre marqué par un sentiment d’isolement, au printemps 2020, Sue-Chue-Lam a contacté ses cofondatrices Chloé Houde, Denise Tenio et Dominica Tang pour former le groupe.

« Dans notre cohorte, nos instructeurs nous ont parfois dit de faire attention à notre privilège blanc, même si cela ne s’appliquait pas à nous tous. Pendant les deux premiers mois de notre programme d’études, j’ai souvent plaisanté sur le fait que je me demandais si j’étais réellement blanche, mais il y avait une part de vérité derrière cela. Je veux dire comment les élèves PANDC [personnes autochtones, noires et de couleur] doivent-ils se sentir, lorsqu’on s’adresse à eux de manière monolithique en tant que “professionnels émergents des musées” tout en associant ce terme aux personnes blanches? »

Ce qui devait être au départ un groupe de soutien s’est rapidement transformé en quelque chose de beaucoup plus grand. Le groupe a commencé à organiser des activités de soutien, à offrir du mentorat à d’autres professionnels des musées issus d’un groupe racialisé, à demander aux musées de revoir leurs pratiques qui perpétuent le racisme systémique et à collaborer avec la Faculté de l’information de l’Université de Toronto, y compris le Groupe de travail sur la diversité, le Groupe de travail sur la solidarité autochtone et le Groupe de travail sur les intérêts en matière d’accessibilité, afin de publier un rapport sur les expériences d’inclusion au sein de la Faculté, basé sur des données anonymes recueillies auprès des étudiants et des diplômés.

Malgré tous les progrès réalisés, le MPOC estime encore avoir beaucoup à faire pour atteindre davantage de professionnels des musées à l’échelle nationale. En plus de sa propre expansion prévue, le groupe espère que la collaboration avec d’autres groupes établis apportera le type d’environnement de soutien nécessaire pour créer le changement.

« La collaboration entre les groupes serait extrêmement utile. Les difficultés rencontrées par les personnes travaillant dans ce secteur sont plus interdépendantes et plus répandues qu’on ne le croit, explique Chloé Houde. Pour relever ces défis, il est indispensable de bénéficier d’une solidarité, d’un soutien et d’une stratégie de collaboration à plus grande échelle. »

Raene montrant des exemples de différents types de corrosion du fer sur des objets et comment la prévenir dans les collections des musées. 2020. Museum of the Cariboo Chilcotin. William’s Lake (C.-B.). Photo — Davana Mahon.

Jill utilise un microscope optique pour inspecter les objets. 2019. Musée canadien de l’histoire, Gatineau (Qc). Photo — Jill Baron

Jill effectuant la consolidation de la peinture sur l’art populaire du bois. 2019. Musée canadien de l’histoire, Gatineau (Québec). Photo — Jill Baron

Jill nettoyant à sec l’original Treehouse des émissions de télévision pour enfants de CBC Mr Dressup et Butternut Square avec de l’EPI. 2019. Musée canadien de l’histoire, Gatineau (Québec). Photo — Amanda Gould

Raene prenant une photo d’elle-même dans l’EPI avant de plonger dans l’assainissement des moisissures. 2021. Museumpros Art Services. Toronto (Ont.) Photo — Raene Poisson

Pour les restaurateurs émergents, travailler dans un domaine spécialisé a suscité un désir de connexion similaire : « J’ai l’impression que l’isolement et le syndrome de l’imposteur sont très répandus chez les restaurateurs émergents — à moins de vivre dans un grand centre urbain comme Ottawa, il est possible que vous n’interagissiez jamais avec un autre restaurateur en personne pendant des mois, voire des années! », explique Raene Poisson, présidente du Comité des restaurateurs émergents.

Toutefois, elle propose une solution bien simple : « Je pense que la première étape consiste simplement à tendre la main aux autres et à parler. Les gens qui se connaissent et qui savent quels sont leurs objectifs respectifs ont plus de facilité à agir de manière inclusive, explique Jill Baron, vice-présidente du Comité des restaurateurs émergents. Je crois aussi que cela nous rappelle que nous partageons tous la même passion pour la culture et le patrimoine, sinon nous ne serions pas dans ce domaine. » M

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