Démontage des expositions : Exploiter le potentiel de la déconstruction


Viviane Gosselin
directrice des collections et des expositions au Museum of Vancouver.
Elle est membre du groupe consultatif de la Coalition of Museums for Climate Justice (CMCJ).

Les professionnels des musées font preuve d’ingéniosité quand vient le temps d’économiser de l’argent et de conserver des matériaux pour construire des expositions. Les employés des musées de petite à moyenne taille, en particulier, sont devenus des experts de la transformation des présentoirs. Récemment, les listes de diffusion de plusieurs associations de musées provinciaux sont également devenus de puissantes plateformes de transmission, d’échange ou de récupération d’accessoires d’exposition et de présentoirs entre collègues des musées.

Inspirée par ces initiatives, l’équipe du musée de Vancouver (MOV) s’est engagée à réduire et à réutiliser les matériaux de construction et à prolonger leur durée de vie en établissant de nouvelles lignes directrices en matière de conception et de fabrication pour produire ses expositions. En 2017, le musée a eu la chance de recevoir de l’aide de la municipalité pour une initiative d’élaboration de pratiques de construction durables sur le plan environnemental.

L’expérience était simple : construire une grande exposition en utilisant principalement des matériaux récupérés et déterminer les processus et les systèmes requis pour mettre en œuvre la même approche à l’échelle institutionnelle.

Cette initiative s’inscrit dans les efforts déployés par la Ville de Vancouver pour créer une économie circulaire — un système économique où les déchets sont minimisés et les ressources optimisées grâce à la réutilisation des produits et des matériaux et à la transformation des chaînes de production. En 2018, Vancouver a été la première ville dans le monde à approuver un plan global en vue de devenir une ville sans déchets d’ici 2040; depuis, d’autres villes du Canada lui ont emboîté le pas.

Pour notre département des conservateurs et notre équipe de fabrication, la contribution à la transition vers une économie circulaire a nécessité non seulement de mettre en place de nouvelles méthodes d’approvisionnement en matériaux d’exposition, mais également d’apporter des changements à la conception, à la construction et à l’utilisation des présentoirs. Ces efforts visant à réduire notre consommation de matières premières ont déclenché une réaction en chaîne passionnante, qui a modifié la pratique d’exposition du MOV de manière permanente.

Prototype d’écoconception : Wild Things

Notre aventure dans l’écoconception a débuté avec notre exposition Wild Things : The Power of Nature in our Lives, qui a ouvert ses portes au MOV en juin 2018. Wild Things examine la relation entre l’urbanité et son environnement naturel, en portant une attention particulière aux récits personnels de rencontres avec la nature. L’exposition exploite le pouvoir de la narration pour évoquer une gamme d’émotions associées à la rencontre directe avec la nature, et crée un espace intime et poétique pour réfléchir aux connexions, et déconnexions, personnelles avec la nature dans la ville.

L’exposition souligne simultanément la menace que représente la dégradation rapide de l’environnement pour cette relation. Dans la mesure où le projet a pour objectif de renforcer la sensibilisation du public à l’environnement, il était impératif de développer une conscience environnementale en tant qu’établissement.

Pour revenir à ma première question, à savoir où commencer : la réponse est la déconstruction. Le terme désigne le processus d’extraction, de récupération, de tri, de nettoyage, de redistribution et de revente des matériaux de construction en vue d’une réutilisation ou d’un recyclage futurs. C’est mieux que la démolition! À titre de référence, selon la Ville de Vancouver, jusqu’à 40 % de ses déchets proviennent de la démolition de maisons et d’autres bâtiments.

Les nouveaux règlements municipaux favorisent la déconstruction, ce qui a ainsi permis d’éviter l’envoi de plusieurs tonnes de matériaux à la décharge. Un esprit de déconstruction peut également être appliqué à la conception et à l’architecture, ce qui mène à la création de systèmes structuraux qui facilitent le démantèlement, la récupération et la réutilisation éventuelle des matériaux de construction. Par exemple, l’utilisation d’attaches et de vis plutôt que de clous et de colle pour l’assemblage des matériaux facilitera plus tard leur séparation.

Approvisionnement en matériaux de construction

Dans ma quête de matériaux usagés, j’ai compris que je ne trouverais pas un lieu où je pourrais m’approvisionner de tout ce dont j’avais besoin. Les entreprises spécialisées dans la récupération de matériaux pouvaient rarement me donner la date d’arrivée de leur prochaine cargaison de bois de charpente ou de feuilles de contreplaqué. Je me suis donc donné deux mois pour cartographier le paysage local de la déconstruction et identifier des alliés. Après plusieurs semaines de visites sur le terrain et de demandes insistantes auprès des « gens de la déconstruction », j’ai commencé à recevoir des appels m’annonçant des cargaisons imminentes.

Nous sommes tombés sur un filon d’or à une occasion : du bois de charpente et plus de 60 feuilles de contreplaqué et de conglomérat qui avaient servi sur un plateau de tournage. Les matériaux ne coûtaient rien car l’entreprise qui s’en défaisait payait, mais nous avons dû louer un camion et engager un entrepreneur pour la livraison au musée et la préparation des matérieux pour la fabrication, qui comprenait le démontage, la coupe et le nettoyage. Ce que nous avons économisé sur le prix d’achat a été largement compensé par les coûts de livraison et de préparation.

Malgré des délais serrés, Wild Things a ouvert ses portes à temps et dans les limites du budget alloué. Et l’exposition a produit des résultats positifs. Les présentoirs de la première salle d’exposition de 2 000 pieds carrés respectent notre objectif de 70 % de matériaux récupérés, et environ 30 % des présentoirs de la deuxième salle sont faits de matériaux récupérés. Nous avons également mis en place un plan de déconstruction de tous les matériaux utilisés dans l’exposition.

Le MOV s’emploie actuellement à s’approvisionner en matériaux de construction plus efficacement, afin d’augmenter son utilisation de matériaux récupérés à 70 % dans toutes les expositions temporaires et d’adapter les lignes directrices à l’intention du personnel et des entrepreneurs. Nous espérons que les interactions avec la communauté de la déconstruction deviendront courantes dans notre pratique professionnelle; nous avons besoin de ce type de collaboration intersectorielle pour favoriser les innovations dans le domaine de la conception et pour lancer la réduction et la réutilisation des matériaux de construction vers de nouveaux sommets.

L’écologisation de la fabrication et le choix des thèmes de nos expositions ne forment qu’une partie de l’équation, et l’équipe de direction du MOV s’efforce d’intégrer des procédures respectueuses du climat dans l’ensemble de notre organisation. Le travail sur Wild Things nous a montré que la recherche de pratiques plus durables sur le plan environnemental a su mobiliser et motiver tous les départements et les entrepreneurs : au-delà des initiatives des équipes de conception, de fabrication, de conservation et des conservateurs directement impliquées dans le projet, le personnel administratif a demandé des subventions pour se procurer le conteneur d’entreposage, les programmeurs ont coordonné des tables rondes sur l’écoconception et le personnel des communications a partagé nos efforts d’écologisation sur les plateformes de médias sociaux. Nous collaborons actuellement avec la Ville de Vancouver pour effectuer un audit énergétique et avons commencé à remplacer toutes les ampoules à incandescence par des DEL à basse consommation. Nous réfléchissons également sur des moyens d’encourager les visiteurs à venir au musée à pied, en vélo ou en autobus. Bien qu’une transformation écologique immédiate ne soit pas possible, nous apportons des changements progressifs et durables. Plusieurs musées (et organisations non muséales) au Canada ont commencé à mettre en place des opérations durables sur le plan environnemental. Plus nous en apprendrons sur ces initiatives et chercherons de l’inspiration et des conseils dans d’autres secteurs, plus nous approfondirons nos connaissances, générerons des solutions novatrices et nous rapprocherons de la création d’une authentique culture de la durabilité dans les musées.

Idées pour écologiser vos pratiques de conception et de fabrication

Pour les lecteurs qui souhaitent écologiser leurs pratiques de conception et de fabrication à l’aide d’une approche de déconstruction, voici quelques suggestions :

Repérez les acteurs de la déconstruction dans votre collectivité : Ils ne définissent pas toujours leur travail en termes de déconstruction. Vous devez chercher des organisations qui extraient, trient et distribuent des matériaux récupérés que vous pouvez utiliser pour construire vos expositions.

Mettez-vous sur leurs radars : Présentez-vous et expliquez en quoi consiste le travail de votre musée, et partagez avec eux votre programme d’expositions pour leur montrer que vous êtes sérieux et que vous récupérerez les fournitures à leur arrivée. L’une des plus grandes difficultés auxquelles ces entreprises sont confrontées est le manque d’espace d’entreposage.

Dressez un inventaire des besoins : Le fait de ne plus commander dans la cour à bois la plus proche demande de s’adapter à l’offre sporadique. Récupérez les matériaux lorsqu’ils sont disponibles et stockez-les pour des projets à venir.

Créez cet espace d’entreposage « spécial » : L’espace d’entreposage est limité dans les musées et le stockage de grandes quantités de matériaux d’avance n’est souvent pas une option. Le MOV a acheté un grand conteneur d’expédition aux fins de l’entreposage, que nous avons installé dans le stationnement du musée. Une unité d’entreposage externe a le mérite d’être séparée de l’immeuble, ce qui réduit les risques d’infestation des salles d’exposition et des salles d’entreposage des collections par des ravageurs.

Établissez un plan de déconstruction : Si la prolongation de la durée de vie des matériaux de construction jusqu’au dernier jour de votre exposition est une chose, empêcher les matériaux de finir à la poubelle par la suite en est une autre. Planifiez la réutilisation de chaque structure d’exposition (p. ex. les offrir à d’autres départements ou institutions, les démonter en vue de leur réutilisation dans des projets à venir).

Militez en faveur d’un centre de déconstruction : Les entreprises de déconstruction œuvrent partout dans les grands centres urbains, mais jusqu’à présent il n’existe pas de carrefours ni de réseaux officiels pour faciliter l’échange et la distribution étendus et continus des matériaux récupérés entre les musées ou d’autres clients potentiels. Plusieurs acteurs sur le terrain collaborent avec la Ville de Vancouver pour officialiser un tel centre. Le MOV est un grand partisan de cette initiative.

Réservez un budget pour des heures de conception et de fabrication supplémentaires : Les matériaux récupérés peuvent nécessiter des heures de préparation et de conception supplémentaires. Nous avons utilisé une partie de la subvention Vancouver Upcycle pour rémunérer les designers afin qu’ils adaptent leurs solutions de conception à nos besoins de déconstruction et pour embaucher un technicien de fabrication supplémentaire.

Embauchez des personnes enthousiastes : Travaillez avec des concepteurs et des fabricants motivés par le défi de travailler avec des matériaux récupérés, souvent de forme non standard, et de les transformer en structures d’exposition et en présentoirs attrayants.

Faites-en une politique : Précisez explicitement et clairement les attentes pour le personnel et les concepteurs. Intégrez ces attentes aux descriptions de travail et aux contrats.

Présentez des demandes de subventions d’infrastructure ou de renforcement des capacités : Des programmes de financement pour une variété d’initiatives écologiques et de projets de renforcement des capacités peuvent soutenir l’élaboration de pratiques de conception durables sur le plan environnemental.

Une version du présent article a été publiée sur le blog de la CMCJ https://coalitionofmuseumsforclimatejustice.wordpress.com/.