Adrian Stimson

Maanipokaa’iin, contrer le colonialisme, envisager la réconciliation

Adrian Stimson, Bison Heart II, 2007, huile, mine de plomb sur toile, 53 x 122 cm. Collection permanente SK Arts.

Le 2 avril, Remai Modern a inauguré Maanipokaa’iini, la toute première rétrospective de l’œuvre d’Adrian Stimson, artiste de la nation des Siksika. Maanipokaa’iini signifie bébé bison en siksikáí’powahsin, la langue des Pieds-Noirs. Dans sa pratique, Adrian Stimson s’intéresse à l’identité bispirituelle, à la place centrale du bison dans la spiritualité et à la survie des Pieds-Noirs, ainsi qu’aux répercussions intergénérationnelles des pensionnats indiens.

Stephanie Danyluk, gestionnaire du programme de réconciliation de l’AMC, s’est entretenue avec Adrian, juste avant l’inauguration de la rétrospective, pour en savoir plus sur son expérience de collaboration avec les musées en tant qu’artiste bispirituel siksika et sur ses travaux visant à lutter contre le projet colonial, et pour entendre ses réflexions sur la réconciliation et l’avenir de la relation entre les musées et les peuples autochtones

[Remarque : la transcription a été modifiée à des fins de clarté et de concision.

Pour les personnes qui ne connaissent pas Buffalo Boy, pouvez-vous décrire en quoi ce personnage s’inscrit dans votre parcours d’artiste?

Buffalo Boy, en bref, entretient des liens étroits avec la réponse au projet colonial et la sortie de la marginalité.

Buffalo Boy a commencé en tant que personnage, parodie et alter ego de Buffalo Bill et de son Wild West Show, et a été créé pendant que je préparais ma maîtrise en beaux-arts à l’Université de la Saskatchewan. Une partie de cette exposition visait de fait les musées. J’ai subverti le concept des expositions muséologiques. Vous connaissez bien sûr les musées et leur histoire liée à l’anthropologie ainsi que le catalogage et la classification des objets. Or, les objets autochtones ont toujours été classés de manière incorrecte. Buffalo Boy a permis d’aller un peu plus loin en étiquetant délibérément tous les objets incorrectement et en les définissant de manière humoristique en réponse à l’histoire de la classification dans les musées et dans le but de la subvertir.

Adrian Stimson, The Shaman Exterminator Spirit Sands #1, 2012, photographie numérique, 111,76 x 167,64 cm. Photo — Colin Zipp. Gracieuseté de l’artiste.

Autre détail intéressant, j’ai également instillé ma propre identité de personne bispirituelle dans le personnage. En me transformant en Buffalo Boy, je peux aborder un plus grand nombre de problèmes. L’approche fonctionne en partie grâce à l’humour. L’humour, à bien des égards, a représenté une stratégie de survie pour les Autochtones. Il faut savoir rire un peu au milieu de la tragédie et du traumatisme.

L’humour offre également une ouverture, un espace dans lequel les gens se sentent à l’aise et peuvent s’engager. Je dis souvent qu’il s’agit d’une approche contrastée, où vous pouvez asséner une gifle à la personne après l’avoir fait rire. Puis vous lui faites un gros câlin.

Quelle a été votre expérience de travail avec les musées?

Après avoir obtenu ma maîtrise en beaux-arts à l’Université de la Saskatchewan, j’ai immédiatement intégré la Mendel Art Gallery. Je suis entré au musée en qualité de premier artiste autochtone en résidence, puis j’ai occupé les fonctions de conservateur autochtone en résidence. C’était au début des années 2000. Auparavant, à la fin des années 1990, les musées avaient commencé à engager des Autochtones. Mais le seul moyen d’intégrer des Autochtones était d’obtenir une subvention et un programme du gouvernement. Aucune mesure d’adaptation n’était prise pour embaucher des Autochtones à titre de conservateur ou d’administrateur ou à d’autres postes de ce genre. Les Autochtones accédaient souvent au musée sous l’égide de programmes gouvernementaux. C’était en réalité le seul moyen pour eux d’entrer dans les musées et d’être financés. La plupart des musées ne les finançaient pas eux-mêmes et ne prenaient aucune mesure d’adaptation à long terme.

Toutefois, les Autochtones travaillaient de leur côté, malgré la situation. Ce qui s’est passé, pour l’essentiel, c’est que de nombreux artistes autochtones ont dû devenir des conservateurs. En effet, à cette époque, les conservateurs ne s’intéressaient pas à nous; alors que faites-vous lorsque les gens vous ignorent? Eh bien, vous faites les choses vous-même. Par conséquent, nous avons été nombreux à organiser nos propres expositions.

Adrian Stimson, New Born Buffalo Boy (photographie de performances), 2022. Photo — Blaire Russell. Gracieuseté de l’artiste.

Dans votre travail, avez-vous découvert d’autres modèles d’élaboration d’expositions correspondant aux valeurs et aux perspectives autochtones? Sinon, à quoi pourrait ressembler un tel modèle?

Je pense que les peuples autochtones sont en train de créer leurs propres institutions. C’est vraiment la tendance actuelle. Ici, à Siksika, nous avons notre parc historique Blackfoot Crossing. D’autres Premières Nations ont leurs musées, ce qui leur permet de conserver la culture de la nation.

Il est primordial que les objets sacrés et les objets très importants pour la communauté restent dans la communauté. Je sais que ma nation a entrepris dans les années 1990 de récupérer nos ballots sacrés, en particulier les ballots des Pieds-Noirs. Un grand nombre d’entre eux se trouvaient dans le Bronx, à New York, au musée Gustav Heye [le George Gustav Heye Center du National Museum of the American Indian]. À ce moment-là, on disait encore : « On ne peut pas vous rendre vos objets, mais vous pouvez venir les voir ». Des délégations se déplaçaient donc pour rendre visite aux ballots, qui sont sacrés. Les membres de la société se rendaient au musée, ouvraient les ballots et les renouvelaient, mais les ballots restaient là-bas. Au fil des années, dans le cadre du processus de rapatriement, un certain nombre de ces objets sacrés ont été rendus aux Premières Nations. Et nous avons nos propres manières de prendre soin de ces objets. De nombreux ballots sont remis à des familles individuelles qui ont le droit de les protéger et de les utiliser adéquatement. Mais pour ceux qui ne sont pas [membres de la société], nous avons créé le parc Blackfoot Crossing. Le site a été conçu pour qu’on y dépose ces ballots et les personnes qui observent ces protocoles peuvent aller les voir, en prendre soin et les renouveler de la bonne manière.

À quoi ressemble l’avenir des relations entre les musées et les artistes, les exposants ou les conservateurs autochtones?

Je pense que nous formons une masse critique de chercheurs, de conservateurs et d’artistes autochtones sur laquelle continuera de s’exercer une pression, si bien qu’on ne pourra plus nous ignorer. Mais le fond du problème, c’est que tant que les musées ne disposeront pas de personnel qui reflète le caractère autochtone, tout cela restera du bavardage.

Les instances dirigeantes continuent de poser de gros problèmes pour la gouvernance des musées. Et dans ces organisations, à tous les niveaux, du conseil des gouverneurs aux administrateurs et jusqu’aux concierges, il faut que le plus de monde possible souhaite être là, être inclus. Je pense que c’est ce qui est en train de se produire, tranquillement. Et je pense aussi, comme je l’ai mentionné plus tôt, que face à la masse critique des artistes et des conservateurs, les grandes institutions ont de plus en plus de mal à ignorer les personnes autochtones qui sont qualifiées pour occuper les postes en question.

La réconciliation est-elle un terme qui a du sens? Croyez-vous que nous ayons les bonnes conversations sur la réconciliation en ce moment?

Au départ, lorsqu’on a commencé à utiliser le mot « réconciliation » pour décrire ce que nous allions entreprendre dans le pays, j’ai souvent pensé que le terme était impropre et que nous devrions plutôt parler de « conciliation ». Le processus est tout nouveau, vous savez. Et il s’agit de conciliation.

Les colons canadiens doivent vraiment faire des efforts, car ce sont les Autochtones qui ont fait le gros du travail sur la réconciliation. Je pense qu’en premier lieu, les Autochtones doivent comprendre les traumatismes qui leur ont été infligés.

Je ramène les choses au niveau personnel. Je suis un survivant des pensionnats. J’ai fréquenté deux pensionnats : Gordon et Lebret en Saskatchewan. Je possède ma propre histoire, outre l’histoire de ma famille toujours en moi, l’histoire de mon père dans sa famille, puis celle de son père et de sa famille. On parle de traumatisme intergénérationnel et c’est la vérité.

Adrian Stimson, Buffalo Boy Indi Lake, 2004, film 35 mm noir et blanc, copie numérique. Photo — Bradley LaRoque. Gracieuseté de l’artiste.

Le processus a été ardu pour beaucoup de peuples autochtones, car il a fallu fouiller dans des souvenirs incroyablement traumatisants. Pour beaucoup, l’exercice a été extrêmement difficile. Pour ma part, par exemple, j’ai eu beaucoup de mal à repenser aux mauvais traitements que j’ai subis, et je pense que personne n’aime se rappeler de tels souvenirs. À bien des égards, l’expérience commune des pensionnats et des externats a créé un nouveau traumatisme, et même si nous avons accès à du soutien, nous nous trouvons dans un état très vulnérable et chaque personne a sa propre manière de guérir. De nombreux Autochtones cherchent des moyens de guérison autochtones. Et je pense que cela est très important.

En tant qu’Autochtones, nous ne sommes pas statiques. Nous ne restons pas toujours les mêmes. Nous sommes dynamiques. Pour être dynamique, il faut changer; il faut modifier sa manière d’aborder les choses; il faut faire évoluer sa compréhension. Le changement s’applique aux mots que nous utilisons et aux descriptions de la réconciliation, ou de la conciliation. Le concept continuera sans doute d’évoluer. La réconciliation doit être réinventée à mesure qu’elle progresse.

À quoi aimeriez-vous que l’avenir de la relation entre les musées et les praticiens autochtones ressemble?

Je me demande souvent à quoi ressembleraient les choses si nous réalisions tous nos désirs. Les musées deviendraient certainement des lieux de travail beaucoup plus harmonieux et agréables. Et beaucoup plus intéressants, grâce à l’inclusion non seulement des méthodes autochtones, mais également de l’éventail d’autres croyances et idées culturelles que, selon moi, nous partageons de bien des manières. Nous avons nos différences, mais fondamentalement, nous cherchons tous à atteindre des sentiments de sécurité, de bonheur et d’accomplissement. Espérons aujourd’hui que nous allons dans cette direction. M

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