Rien sur nous sans nous

Nika Collison

Cet article a été l’allocution d’ouverture du Congrès national de l’AMC de 2023. Il a été révisé et considérablement abrégé, et son format a été modifié.

Étant à la fois haïda et DG/conservatrice du Haida Gwaii Museum, j’ai eu d’excellentes occasions de faire de ma vie mon œuvre et de mon œuvre ma vie. J’ai le privilège de travailler au sein de ma Nation à défendre Xaayda Ga Xaaynang.ngaay, le mode de vie haïda, et de travailler de cette façon avec des musées du monde.

Une des principales lois de la Nation haïda est Yahguudang — le fait de respecter — le respect pour toutes choses : la terre, l’eau et l’air; le Surnaturel, nos Ancêtres et les uns envers les autres. Comme me l’a enseigné ma tante GwaaGanad, ce n’est que quand nous témoignons d’un tel respect que nous sommes nous-mêmes dignes de respect.

De cette loi, et de beaucoup d’autres lois de notre Nation, découle le privilège du laa guu ga kanhllns, ou responsabilité. En tant que professionnels des musées et en tant qu’êtres humains, nous avons la responsabilité d’influencer la société en intégrant la sombre histoire du Canada avec les peuples autochtones, tout en travaillant activement à redresser la situation.

Dans le monde du Haida Museum, le chemin vers la réconciliation a été façonné par Yahguudangang. La Nation haïda considère que ce travail, qui inclut le rapatriement, est « fondé sur le respect mutuel, la coopération et la confiance ». Yahguudangang est la façon dont les restes de nos Ancêtres ont été ramenés chez nous. C’est ainsi qu’est né notre musée, et c’est sur cela que notre propre collection de trésors est fondée.

Yahguudangang a apporté une nouvelle profondeur à la guérison de la Nation haïda, et à notre capacité de guérir avec les autres. Il donne aux musées de l’Ouest la possibilité de devenir des agents volontaires de changement, au lieu d’être des témoins matériels du génocide perpétré par le Canada contre les peuples autochtones.

Nos Ancêtres nous entourent. Grâce à eux, nous sommes ici, sachant qui nous sommes et d’où nous venons. Depuis plus de 25 ans, notre Nation et notre musée travaillent à rapatrier avec honneur et respect plus de 500 de nos Ancêtres se trouvant dans des musées et des demeures privées. Ce travail a coûté plus d’un million de dollars en espèces sonnantes et trébuchantes, en main-d’œuvre et en dons en nature. C’est notre Nation qui a absorbé la majorité de ces coûts.

Comment nous nous sommes retrouvés dans cette position, pourquoi nous faisons ce travail, et où cela nous emmène (tous), est une histoire qui devrait être connue, et jamais oubliée.

Par le passé, tous les clans haïdas avaient un Conteur professionnel qui gardait intactes nos longues histoires. Grâce à cela, nous connaissons des histoires antérieures à l’occupation humaine de cette terre; nous savons qu’ « au commencement » il faisait à la fois clair et sombre, et que la terre était couverte d’eau. Seuls les Êtres surnaturels y flottaient, épuisés et ayant soif de terre. Nous connaissons la création de Haida Gwaii et du continent; nous connaissons la libération du soleil, de la lune et des étoiles, la venue du saumon et de l’eau douce dans nos îles. Tout cela, comme bien d’autres choses, a été sauvegardé par les Conteurs.

J’ai appris de ma tante Gwaa Ganad, qui le tient de l’historien de tradition orale Nang King.aay ‘uwans James Young, que nous sommes d’abord sortis de l’air mais que nous n’avons pas survécu. Nous n’avons pas survécu quand nous sommes venus de la terre. Nous, les Haïdas d’aujourd’hui, nous venons de l’océan. Les Êtres surnaturels ont eu pitié de nous. C’est pourquoi nous sommes ici.

Nous avons traversé des millénaires. Nos histoires racontent la venue de la dernière période glaciaire, les temps où la terre était insupportablement chaude, et la montée et la descente des eaux. Ces histoires ont aidé la science à comprendre le passé. Par exemple, la science a récemment « découvert » que le premier arbre à pousser sur Haida Gwaii après la dernière période glaciaire était le Ts’ahl, ou pin tordu, comme le disaient nos Ancêtres. La science a contribué à établir une chronologie pour cet événement, qui s’est produit il y a 12 à 14 000 ans. Il y a environ 6 500 ans, nous sommes devenus les gens du cèdre.

L’intérieur du Haida Gwaii Museum à Kay Llnagaay. Photo — Rolf Bettner, c. 2009. avec la permission du Haida Gwaii Museum, à Kay Llnagaay.

Comment les Ancêtres autochtones et leurs possessions se sont-ils retrouvés dans des musées?

La première rencontre (selon les Occidentaux) entre Européens et Haïdas a eu lieu en 1774, lorsque des Espagnols se sont aventurés dans des eaux haïdas. Les Britanniques suivirent de près, réalisant la prophétie d’un S Gaaga, un praticien médical et spirituel, qui avait prédit la venue de l’Esprit de la pestilence.

On croit que la première vague de variole à frapper la côte a eu lieu à la fin du XVIIIe siècle, suivie d’une épidémie de moindre ampleur au début du XIXe siècle. On a des preuves que ces épidémies ont été introduites délibérément.

Les survivants furent ensuite soumis à la Loi sur les Indiens, loi canadienne imposant aux peuples autochtones de vivre dans de minuscules réserves enclavées, faisant de nous des « pupilles de l’État », créant des mécanismes pour nous isoler de nos communautés, et proscrivant nos systèmes socio-économiques et juridiques. L’Église fit également souffrir notre peuple, formant dans nos villages des externats gérés par elle, et se joignit plus tard au Canada pour créer le régime des pensionnats autochtones.

C’est surtout au cours de cette période que des sépultures haïdas ont été profanées et que les restes de centaines de nos Ancêtres ont été dérobés par divers agents des Indiens, missionnaires, anthropologues et explorateurs, avec des milliers de nos biens. Nous connaissons plus de 12 000 trésors attribués aux Haïdas, qui sont détenus dans plus de 300 musées et universités du monde. La plus grande partie de ce qui a été volé a été donné ou vendu sous la contrainte. Notre mode de vie a été proscrit, et notre peuple a subi une marginalisation sociale et économique extrême. Confrontés à tout cela, les nôtres ont dû trouver des moyens de survivre dans ce monde nouveau.

Le Canada a essayé de détruire notre esprit, notre identité, notre caractère haïda. Ils voulaient que nous oubliions notre responsabilité à l’égard de Haida Gwaii et des Êtres surnaturels, et les uns à l’égard des autres, que nous oubliions qui nous sommes et notre place dans ce monde. Peut-être que la plus grande tragédie dans tout cela, « c’est l’histoire du monde », comme mon ami Gidansda me l’a dit un jour.

Lorsque je racontais la vraie histoire du Canada à ma fille Gid Kuuyas, qui avait alors treize ans, elle s’est tue longuement avant de parler des colonisateurs, déclarant généreusement : « Ils avaient un esprit malavisé, n’est-ce pas, maman

Saahlinda Naay, la maison où l’on sauve les choses

Chose étonnante, nos Ancêtres survivants n’ont pas seulement survécu, mais beaucoup ont prospéré, et je sais qu’ils ont travaillé très dur pour que nous puissions être ici aujourd’hui. Ils ont fait en sorte que notre savoir et nos pratiques soient transmis, utilisant souvent des pratiques occidentales comme guides. Ce qui ne pouvait être transmis oralement était préservé grâce au fait que nos Ancêtres ont choisi de travailler avec des anthropologues pour consigner notre histoire.

Tirant parti des dons offerts tant par des détenteurs de savoir vivants que par ceux qui ont vécu avant nous, une nouvelle génération d’artistes a commencé à sculpter un nouveau chapitre de notre histoire, créant des œuvres majeures telles que les premiers mâts monumentaux élevés en près de 100 ans selon les lois et cérémonies haïdas. Les tisseuses ont non seulement maintenu en vie l’art du tissage et les textiles, mais elles ont conservé vivant leur usage. Avec cette solide réintégration de l’art comme fonction sociale, l’art haïda a commencé à reprendre place dans notre vie quotidienne. L’art étant revenu, nous avons récupéré notre identité, ainsi que notre voyage vers la souveraineté et l’autodétermination.

Saahlinda Naay, la Maison où l’on sauve les choses, également connue comme le Haida Gwaii Museum, est un des premiers actes de Tl’l Yahda, « Arranger les choses », entre les peuples autochtones et les musées conventionnels. Vision tant de citoyens haïdas que de Canadiens habitant dans nos îles, notre musée a ouvert ses portes en 1976 à Kay Llnagaay, ancien village remontant à l’époque des Êtres surnaturels. C’est là que mon clan est sorti de l’océan.

Yahguudangang — le fait de respecter

Notre musée fonctionne en accord avec la société haïda. Nous demandons des orientations à nos Aînés et à nos Leaders sur la conduite à tenir, et sur le soin et le partage de nos trésors. Par exemple, nous n’aurions jamais élevé ces trois mâts dans notre musée sans la permission des lignages K’aadas Ga Kii Guuway, K’uuna KiiGuuway et Sang.ahl Stastas, desquels descendent ces mâts. G

Nous fournissons espace, soutien et possibilités pour les pratiques artistiques et culturelles, la recherche, l’enseignement, le développement des compétences, le rapatriement, etc. Nous sommes motivés par la communauté, et sommes les produits de notre mode de vie haïda, et y contribuons, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre maison.

Travailler avec les musées conventionnels à réparer une partie de notre histoire partagée a permis de réunir deux mondes et d’en créer un nouveau. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un mode de vie que connaissaient nos Ancêtres, il fait aujourd’hui partie de la culture haïda : ce travail n’est pas une carrière — c’est un attachement à nos Ancêtres, à nos enfants, à notre avenir. À Haida Gwaii. Yahguudangang change l’histoire haïda et l’histoire du Canada.

Il ne s’agit pas uniquement de notre guérison. Elle a changé la manière dont certains membres du personnel des musées conventionnels se voient eux-mêmes, voient leur propre histoire coloniale et l’histoire de leur musée. Cela les aide à aborder la honte du colonialisme ou à en guérir. La plus grande honte est donc le fait d’oublier Yahguudangang.

Le Haida Heritage Centre à Kay Llnagaay, où se trouve le Haida Gwaii Museum. Photo — Rolf Bettner, c. 2009. Avec la permission du Haida Heritage Centre à Kay Llnagaay.

Rien sur nous sans nous

La réconciliation débute à la maison. Elle commence par la décolonisation : dans votre tête, votre cœur et votre esprit. On recherche la connaissance, on recherche la vérité, on accepte. Pour les sociétés coloniales dominantes, cela signifie faire preuve d’une véritable empathie, de volonté, sans préjugés, sans attitude défensive, sans impatience.

N’attendez pas votre loi ou vos politiques. Grâce à Yahguudangang, des montagnes ont été déplacées. Ne dites pas que vous ignorez comment. Dites que vous allez trouver. C’est pourquoi, je crois, nous sommes tous ici aujourd’hui.

Je veux prendre un moment pour rendre hommage à mon amie et collègue Sdahl K’awaas Lucy Bell, qui, en 2020, a dit la vérité sur ses expériences de travail dans un établissement colonial, et lui témoigner mon respect. Je veux remercier publiquement Lucy pour ce sacrifice. Et croyez-moi, c’était bien un sacrifice. K’uuljaad Sdahl K’awaas, sah uu dang Giida, dang ga dii k’uuga ga. Je veux également honorer Ikawega Lou-ann Neel, qui a supporté le même système colonial tant qu’elle l’a pu. Toutes les deux, et beaucoup d’autres, sont victimes de racisme, et vivent dans des lieux de travail non sécuritaires, non pas pour progresser dans leur carrière, mais parce qu’ils veulent favoriser le changement.

Je ne pense pas que les gens comprennent à quel point les espaces des musées coloniaux sont dangereux et nuisibles pour les Autochtones. Les gens des musées doivent comprendre que chaque fois qu’ils font quelque chose avec nos biens, ils interfèrent avec nos vies. Gam gyen iitl’l ising gan, gam t’alang ising ga gan. Rien sur nous sans nous.

Quand mon fils Tie avait six ans, je lui ai demandé quelle était la chose la plus importante au monde. Il a répondu : « L’eau. » Quand j’ai demandé quelle était la deuxième chose la plus importante, il a dit : « L’amour. » Mes enfants me donnent de l’espoir. Le fait que nous soyons tous ensemble ici aujourd’hui me donne de l’espoir.

Haawa, ad dalang sding, dalang ‘waadluuxan s Gaw da gii Ga hll kil ‘laa. M

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