Regardons plus loin et élargissons notre perspective

Vanda Vitali, Ph.D. 

Grâce aux mises à jour sur son site Web, à son service quotidien de coupures de presse et à ses messages publiés dans les médias sociaux ainsi qu’à l’information émanant de ses partenaires provinciaux et territoriaux, l’Association des musées canadiens (AMC) s’attache à vous communiquer les nouvelles importantes qui vous touchent directement. En ces temps difficiles, nous avons communiqué de l’information importante concernant la fermeture de divers musées, la mise à pied d’employés, les collections en péril ainsi que les procédures, les expositions et les programmes à prévoir lorsque les musées pourront rouvrir leurs portes. Tous ces détails ont pour objet de vous tenir informés et de vous aider à prendre des décisions cruciales pour votre organisation. 

Dans le présent article, je souhaite toutefois « changer de grossissement », comme le diraient mes collègues scientifiques, pour examiner le contexte plus large et à plus long terme dans lequel les musées pourraient fonctionner par suite de cette pandémie et des changements en découlant. 

Dans cette optique, nous avons amorcé la discussion sur le sujet en tenant une table ronde avec de nouveaux professionnels des musées. Il a alors été question de l’avenir des musées, surtout à court terme, mais aussi de certains aspects de nos perspectives à long terme. Vous trouverez plus de détails sur cette activité dans un autre article du présent numéro. 

Les sciences humaines ont révélé que l’on s’entend généralement sur le fait que les crises accélèrent certaines tendances. Elles exacerbent l’inégalité dans un système et créent des bouleversements économiques et politiques. Toutefois, les crises stimulent aussi l’innovation et des façons inédites de faire les choses. En observant les sociétés après une crise, on constate des modifications du comportement : notre façon de vivre seuls ou ensemble, notre façon d’apprendre, de travailler, d’échanger et d’entrer en relation et, enfin, notre façon d’interagir avec d’autres personnes ou des groupes. Souvent, les gens passent de l’efficacité à la résilience. Ils réévaluent ce qui est urgent et ce qui est important pour eux. De même, ils réexaminent ce qui constitue des intérêts individuels plutôt que collectifs, des valeurs économiques plutôt que sanitaires et des responsabilités nationales plutôt que mondiales. Tous ces changements visent à renforcer nos institutions et nos protections. Nous ne savons pas à quel moment notre société entrera dans une nouvelle normalité ni si l’on développera ou non un vaccin. Nous savons toutefois que des façons inédites de faire, d’agir ou d’être prendront forme. C’est pourquoi je demande : « À quoi le monde des musées ressemblera-t-il lorsque nous entrerons dans la “nouvelle normalité” qui pourrait s’ensuivre? »  

En raison de la pandémie, nos musées ont modifié leur façon de travailler pour mettre en valeur et offrir un contenu en ligne. Avec la pratique, notre apprentissage portant sur diverses plateformes en ligne et sur les façons de communiquer s’accélérera. Ces modes de communication continueront d’imprégner la réflexion et le travail des musées, mais d’une manière plus complexe. Nous saurons comment distinguer le type de communications et de programmes qui conviennent le mieux pour un travail en ligne. Et, de façon générale, nous apprendrons aussi comment compléter l’apprentissage en ligne au moyen d’un apprentissage entre pairs et par les réseaux. 

En outre, les musées redoubleront d’efforts pour numériser leurs collections afin d’être en mesure d’offrir un contenu en mettant l’accent sur la diversité et la résilience. La numérisation renforcera aussi la capacité de partager les collections, tout en réduisant la nécessité de préserver plusieurs spécimens d’artéfacts et d’écofacts. Le partage de l’information et des lignes directrices à l’échelle du pays continuera de faire partie intégrante des enseignements que nous aurons tirés de la pandémie en cours. La valeur du travail collectif s’en trouvera renforcée. 

Néanmoins, j’estime que la crise mettra aussi en évidence les meilleurs aspects de nos actifs les plus précieux.  

D’après moi, les expériences concrètes et l’observation d’artéfacts véritables de même que le partage d’expériences in vivo avec des amis et des proches, voire avec des étrangers dans des lieux publics, prendront une plus grande importance sur le plan émotionnel et intellectuel. Aucune visite virtuelle ne peut remplacer l’expérience d’un musée, qu’il s’agisse d’un bâtiment ou d’un lieu. Les musées devront faire fond sur leur expérimentation pour rehausser l’expérience et l’apprentissage en personne.  

La pandémie fait la preuve que les personnes les plus défavorisées sont particulièrement vulnérables. J’espère que cette constatation nous amènera à renforcer les institutions qui ont peu de ressources mais de grandes responsabilités, comme les petits musées et les centres autochtones. Avec un solide appui, le travail acharné de ces petites institutions renforcera forcément la contribution de notre secteur. 

La maladie s’attaque de façon tenace aux aînés de nos communautés. Il est à espérer que cette situation nous amènera à les voir sous un jour différent. Les aînés sont une source de savoir, en particulier dans les communautés autochtones. Il nous incombe de protéger et de consulter respectueusement ces dépositaires du savoir. Nous pourrons y parvenir en nous concentrant davantage sur le patrimoine immatériel. 

Les autorités privilégieront une infrastructure plus durable et plus facile à gérer et il faudra repenser les ambitions pour les grands bâtiments qui engendrent des coûts d’entretien astronomiques. Les architectes pensent déjà à subdiviser les grands locaux afin d’accroître l’efficacité. En outre, il faudra réfléchir aux paramètres applicables à la constitution des collections, dont l’élagage et le partage pourraient devenir une pratique nécessaire pour la survie des musées. 

Qui plus est, notre secteur devra recentrer la politique publique sur la sécurité collective, notamment pour améliorer l’état de préparation et la résilience face à d’autres crises éventuelles. Nous savons que les scientifiques nous mettent en garde contre le changement climatique et ses répercussions sur notre mode de vie et notre façon de travailler. C’est le moment idéal pour commencer à nous pencher également sur ces enjeux et à exiger une plus grande efficacité de la part des administrations publiques.  

Cette crise nous a appris qu’il faudra réexaminer notre relation avec la nature. Non seulement nos administrations municipales créeront des espaces plus ouverts et agrandiront les trottoirs et les pistes cyclables dans nos villes, mais aussi nous devrons analyser notre relation avec les autres espèces ainsi qu’avec la planète dans son ensemble. 

Je suis optimiste pour l’avenir des musées. Nous sortirons de la pandémie mieux informés et mieux préparés à composer ensemble avec des possibilités et des difficultés nouvelles. Collectivement, nous devrons nous assurer de faire partie des principales préoccupations du gouvernement fédéral en misant sur notre réputation, la confiance que les citoyens canadiens mettent en nous et la contribution que nous leur apportons.  

Je vous invite à nous faire part de vos réflexions sur les meilleures mesures à prendre pour préparer notre avenir à long terme, tandis que nous traversons ces temps difficiles. Envoyez-nous un courriel à info@musees.ca. Nous sommes impatients de prendre connaissance de vos suggestions.