Musées et confinement : quelques observations à partir d’études sur le vif

Anik Meunier, Ph.D.

Dans le cadre d’un séminaire international initié par l’École du Louvre (France) et l’Université du Québec à Montréal (UQAM) auquel plus d’une centaine de personnes à travers le monde ont participé en format virtuel, nous nous sommes intéressés à la question des musées et du confinement imposé par la pandémie mondiale actuelle1. Inscrit dans la ligne des réflexions entreprises par la Mission Musées du XXIe siècle2, le séminaire est consacré aux changements profonds qui marquent l’approche empirique des visiteurs et s’attachent à des aspects de la visite peu étudiés, mal compris ou insuffisamment formalisés. Il passe en revue les résultats d’études et de recherches dont les méthodologies sont notamment issues de l’innovation technologique et de la transition numérique pour comprendre et expliquer les logiques contemporaines de la fréquentation des musées. Ce séminaire international Paris-Montréal, intitulé Nouvelles perspectives dans l’approche des publics a amorcé sa 3e année d’activités avec le thème Musées et publics en temps de crise, une thématique qui ne pouvait être plus en phase avec l’actualité de la pandémie mondiale qui sévit en ce moment. Des analyses ont émergé, plusieurs points de vue se sont croisés et ce texte a pour intention de revenir sur certaines des réflexions partagées lors de cette rencontre.

Plusieurs initiatives ont été déployées, à la hâte, un peu partout à travers le monde et ont permis de rapidement documenter la situation des musées en regard de la pandémie. À titre d’exemple, en France, l’Ocim a produit un dossier complet portant un regard et des analyses sur l’épidémie de Covid-193. Une autre étude française, cette fois réalisée par le département de la politique des publics du Ministère de la culture, a voulu comprendre si le confinement a été l’occasion d’élargir le profil des visiteurs habituellement rencontrés in situ ou, à défaut, si cela a permis de modifier les pratiques de ceux déjà familiers des lieux de patrimoine4. Au Canada, l’Association des Musées canadiens (AMC) a proposé des contributions pour observer et rendre compte de la situation actuelle dans son magazine Muse5. Une étude plus vaste pilotée par l’UNESCO et l’ICOM (2020) a mis au jour les résultats d’un sondage réalisé auprès de 1 600 musées et professionnels du secteur issus de 107 pays. Si la pandémie mondiale actuelle a inféré d’autres manières de consommer ou de participer à la culture, respectant la distanciation sociale et imposant une série de mesures sanitaires in situ, elle questionne aussi les pratiques à l’égard des publics et des usagers hors les murs. La situation présente remet peut-être même de grands thèmes sociaux à l’avant-scène de nos musées qui ne peuvent plus échapper à davantage de justice, d’égalité et d’inclusion redéfinissant ainsi certains rapports humains. Quels sont les constats et leçons à tirer de la situation actuelle?

Des fermetures de musées définitives ?

En avril 2020, presque la totalité des musées dans le monde ont fermé leurs portes. Plusieurs structures muséales ont subi cette première fermeture sans véritable préparation, imposant ainsi beaucoup d’improvisation dans les manières de faire face à cette situation. Seulement quelques mois plus tard, à l’automne 2020, une seconde fermeture, peut-être un peu mieux anticipée, s’est imposée pour plusieurs musées, en lien avec la deuxième vague de propagation du corona virus. Entre les deux phases de fermeture, la Société des musées du Québec (SMQ) rapporte que 15% des musées québécois n’auraient pas rouvert au public6. Quant à l’étude conduite par l’UNESCO et l’ICOM (2020), les résultats du sondage réalisé montrent que 90% des musées dans le monde ont été forcés de fermer temporairement leurs portes. D’après les estimations de cette même étude, un musée sur huit dans devra soit cesser ses activités de façon permanente, soit les repenser. Mais, comment revoir les actions des musées dans ce contexte?

Des activités et programmes numériques

Cette question trouve en partie sa réponse dans la dimension numérique. Pendant ces fermetures, plusieurs musées ont transposé leurs activités dans la sphère numérique les incitant également à développer, ou à améliorer, les activités et les outils numériques déjà proposés à leurs visiteurs. L’étude conduite par l’UNESCO et l’ICOM (2020) montre que même si les musées possédaient déjà des activités en ligne, plus de la moitié ont accru leurs actions de communication numérique (Facebook, Infolettre). En ce qui a trait aux programmes des musées, 83% des répondants anticipent une baisse de près du tiers de leur programmation. Cette diminution des programmes a inévitablement induit une réduction des effectifs professionnels dans les départements concernés. Quelles sont les incidences de ces retranchements sur les personnels des musées?

De nombreux musées canadiens ont créé des projets numériques pour servir leur communauté, comme Musée en quarantaine du Musée d’art de Joliette. Photo — Capture d’écran de museejoliette.org, consulté le 24 novembre 2020.

Le travail des professionnels des musées

Dans les périodes de confinement, la plupart (84%) des professionnels des musées, toute fonction et tous métiers confondus, ayant répondu au sondage UNESCO-ICOM (2020) travaillent à partir de leur domicile. Afin d’éviter des licenciements massifs dans les institutions muséales, plusieurs personnes ont été invitées à réduire leur temps de travail en resserrant leur horaire et le condensant sur un nombre réduit de jours/semaine. Dans certains musées, des employés ont été forcés de réduire de plus de la moitié leurs heures de travail7. Ces incitatifs ont permis de stabiliser la situation professionnelle dans les musées, mais pas pour tous les statuts d’employés.

En effet, les professionnels contractuels, comme les médiateurs dont la tâche implique un contact direct avec les visiteurs, ont souvent fait face au non renouvellement de leurs contrats de travail. Quant aux professionnels indépendants des musées, la situation est alarmante : plus de 16% des répondants ont déclaré avoir été temporairement mis à pied alors que les contrats d’au moins 23% n’ont pas été renouvelés. Dans les faits, plus du tiers des entreprises qui avaient l’habitude de travailler avec des musées ont dû, soit réduire le nombre de leurs employés, soit orienter leurs activités ailleurs. La situation demeure donc très délicate pour tous les professionnels des musées.

Les musées et les sites patrimoniaux du monde entier en sont à diverses étapes d’ouverture au public. Soit en confinement, soit ouvert avec des mesures de sécurité accrues, telles que le port du masque. Photo — Lucrezia Carnelos.

Quelles retombées sur les pratiques culturelles?

Ces transformations au sein de la sphère professionnelle des musées ont incité les publics de la culture à adopter des pratiques « alternatives ». En effet, ne pouvant plus se rendre sur les lieux pour visiter des expositions, les publics usuels ont entretenu d’autres pratiques. L’étude conduite par le Ministère de la Culture, en France, montre une hausse spectaculaire de la fréquentation des sites internet des établissements du patrimoine, musées inclus, parfois de 150% à 200%. Elle dévoile aussi que plus de 60% des répondants affirment que la visite dans un lieu culturel et les ressources numériques sont deux approches complémentaires et que l’une ne saurait se substituer à l’autre. Au surplus, 87% déclarent qu’ils continueront à faire les activités et consulter les contenus numériques après le confinement. Les activités offertes en ligne se pratiquent, pour la grande majorité des participants (91%) en solitaire.

Les musées et les sites patrimoniaux du monde entier en sont à diverses étapes d’ouverture au public. Soit en confinement, soit ouvert avec des mesures de sécurité accrues, telles que le port du masque. Photo — Fran Boloni.

Ce bref survol rend compte de divers enjeux entourant les phases successives de fermeture des musées. Les pertes financières sont bien réelles et se trouvent au cœur des défis auxquels les musées doivent faire face8. Selon l’étude de l’UNESCO et de l’ICOM (2020), les fermetures de musées toucheront particulièrement les régions où les institutions sont récentes et peu nombreuses, et où les structures sont encore fragiles. De fait, elles les obligent non seulement à revoir leurs activités mais aussi, souvent, à réduire leurs effectifs professionnels. Les différentes phases de confinement de la population obligent les musées à faire preuve de créativité et d’inventivité en diversifiant leur offre culturelle sur les plateformes numériques. Cette astuce est susceptible de générer de nouvelles pratiques et de permettre de renouveler le portrait des publics des musées, sinon de fidéliser les plus convaincus. M

Anik Meunier Ph.D. est professeure et chercheure en muséologie et éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et dirige le groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM).

Notes

  1. Ce séminaire est organisé conjointement par Jacqueline Eidelman, Professeur à l’École du Louvre, responsable de la mission ministérielle sur les « Musées du XXIe siècle » et du rapport « Inventer des musées pour demain », Mathias Blanc, chercheur associé à l’École du Louvre, Centre national de recherche scientifique (CNRS), Université de Lille et Anik Meunier.
  2. Voir Eidelman J. (dir.), Inventer des musées pour demain, Rapport de la mission Musées XXIe siècle, Paris : La Documentation française, 2017 ou https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/174000177.pdf
  3. Voir Distances — Regards sur une situation inédite, l’épidémie de Covid-19, La lettre de l’Ocim, no 189, mai-juin 2020 ou https://fr.calameo.com/read/005777060b3354a7710fb
  4. Voir Les pratiques « alternatives » à la fréquentation des patrimoines. Étude quantitative durant le confinement, Pôle études du département de la politique des publics, par Joséphine Dezellus et Jasmina Stevanovic, disponible sur https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Organisation/La-direction-generale-des-patrimoines/Departement-de-la-politique-des-publics
  5. Le texte « Contre vents et marées » signé par Vanda Vitali, directrice générale et présidente directrice générale de l’AMC, en est un excellent exemple. D’ailleurs Mme Vitali a prononcé une conférence lors du séminaire dont il est question dans le présent texte.
  6. Voir Fermeture prolongée des musées. L’impact durement ressenti. La Presse, 29 octobre 2020 ou https://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/2020-10-29/fermeture-prolongee-des-musees/l-impact-durement-ressenti.php
  7. Voir Fermeture prolongée des musées. L’impact durement ressenti. La Presse, 29 octobre 2020 ou https://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/2020-10-29/fermeture-prolongee-des-musees/l-impact-durement-ressenti.php
  8. Pour en savoir plus, voir Fermeture prolongée des musées. L’impact durement ressenti. La Presse, 29 octobre 2020 ou https://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/ 2020-10-29/fermeture-prolongee-des-musees/l-impact-durement-ressenti.php