Des représentants des Maasaï et des membres du personnel du Pitt Rivers Museum prennent soin ensemble d’objets sacrés maasaï. © Pitt Rivers Museum, Université d’Oxford

Projet de décolonisation des musées

Q+R avec Antonia Canal, responsable des politiques et des campagnes à la Museums Association (Royaume-Uni)

L’Association des musées du Royaume-Uni — la plus ancienne association de musées au monde, créée en 1889 — a lancé des initiatives de décolo-nisation visant à habiliter davantage de personnes à prendre des mesures et à mener à bien des changements, alors que les musées s’interrogent sur le legs du colonialisme britannique.

Reconnaissant l’intérêt croissant envers la décolonisation des musées, allié cependant à une incertitude quant à la manière de mettre cela en pratique, l’association a entrepris la création d’un document de référence intitulé Supporting Decolonisation in Museums ( Soutenir la décolonisation dans les musées).

Ce document de référence, qui a été lancé récemment, couvre tous les domaines de pratique, comp/ortant des sections sur la collaboration, les collections, les effectifs, etc. Il vise à aider les acteurs de l’ensemble du secteur muséal à instaurer des pratiques de décolonisation, quels que soient le type ou la dimension des établissements concernés.

Des membres du personnel de l’AMC ont rencontré l’agente des politiques et des campagnes de l’asso-ciation, Antonia Canal, pour discuter de l’impulsion dont bénéficie le projet, de son processus d’élaboration, et des liens avec les initiatives de réconciliation et de décolonisation menées par des musées au Canada et dans le monde entier.

Pour ceux qui ne connaissent pas le projet, pourriez-vous décrire cette initiative?

En novembre 2021, nous avons lancé Soutenir la décolonisation dans les musées. Produit par notre groupe de travail sur la décolonisation avec l’appui de notre comité d’éthique et d’un éventail de partenaires critiques, ce nouveau document de référence vise à aider davantage d’intervenants à prendre des mesures concernant la décolonisation.

Le document couvre tous les domaines de pratique, avec des sections sur la collaboration, les collections, les effectifs, etc. Les conseils offerts invitent à réfléchir, discuter et agir, reconnaissant qu’il n’y a pas de formule unique pour décoloniser les musées.

Beaucoup de musées de l’ensemble du Royaume-Uni reflètent l’héritage du colonialisme britannique. Ce guide offre la possibilité de prendre des mesures en vue d’un changement à long terme.

Membres de la communauté soudanaise du Sussex au Royal Engineers Museum, en septembre 2021, dans le cadre du projet Making African Connections (Établir des liens avec l’Afrique).

Pouvez-vous nous donner une idée du travail de fond et du contexte historique de l’association qui a donné lieu à cette initiative?

Le travail de décolonisation des musées a été défendu par des gens travaillant depuis longtemps dans des musées et collaborant avec eux. Je pense qu’il est important de reconnaître que ce travail n’est pas nouveau et a souvent été réalisé par des collectivités sur le terrain.

Pour nous, la décolonisation est devenue une priorité stratégique à la suite de la publication de notre rapport Empowering Collections (Autonomisation des collections) de 2019. Nous y avons constaté un intérêt croissant pour la décolonisation des musées, allié cependant à une incertitude quant à la manière de mettre ce concept en pratique.

En réponse à cette recommandation, nous avons créé le groupe de travail sur la décolonisation, en tant que sous-groupe de notre comité d’éthique, pour réaliser ce document de référence de façon à ce que davantage de personnes puissent agir en matière de décolonisation.

Quels ont été quelques-uns des principaux collaborateurs, et quel a été votre rôle dans cette entreprise?

Soutenir la décolonisation dans les musées a été produit par notre groupe de travail sur la décolonisation, lequel comprenait un éventail de professionnels travaillant dans le secteur muséal et ailleurs. Il était présidé par Rachael Minott.

Nous avons également bénéficié du soutien de notre comité d’éthique, d’intervenants de l’extérieur et d’un éventail de partenaires critiques. Vous pouvez trouver tous les détails sur notre site web.

Mon rôle a consisté à soutenir le groupe de travail et à veiller à ce que les conseils reflètent les riches discussions et le travail collectif que nous avions entrepris ensemble au cours des deux dernières années.

Raquel McKee, de l’African Caribbean Support Organisation Northern Ireland (ACSONI), qui conseille sur les objets africains de la collection nationale, avec Bethany Skuce, National Museums NI Object Co

Pouvez-vous nous dire comment le projet a été élaboré? Quelles ont été les principales activités ou étapes qui ont permis de le mener à bien?

Le groupe de travail a été créé en 2019, dans le cadre des recommandations de notre rapport Empowering Collections, où l’on notait un intérêt croissant pour la décolonisation des musées mais une incertitude quant à la manière de mettre ce concept en pratique.

Au départ, le groupe de travail a tenu des réunions trimestrielles, se servant de ces premières discussions pour recenser idées et ambitions pour le document de référence. Un sondage a été réalisé au début pour obtenir le point de vue des gens sur la décolonisation des musées. Vous pouvez trouver des citations de répondants au sondage tout au long du document.

Notre groupe de travail a ultérieurement pris part à une série d’ateliers afin de préciser le contenu du document de référence. Ces séances étaient dirigées par des membres du groupe ainsi que par des animateurs de l’extérieur.

Au cours des derniers mois d’élaboration du document, le groupe s’est réuni mensuellement, de nombreux membres prenant également part à des séances supplémentaires de rédaction collective pour finaliser le travail.

À l’association, nous sommes extrêmement reconnaissants au groupe pour tout le temps, l’énergie et les compétences dont il nous a fait bénéficier.

De quoi êtes-vous le plus fière relativement au projet, qu’il s’agisse de son élaboration ou de son exécution?

Le groupe de travail avait une vision très claire de ce que pouvaient être les conseils offerts et s’est engagé fermement à faire l’impossible pour la concrétiser. Je suis très fière et reconnaissante du dévouement du groupe de travail relativement à ce travail. Notre présidente, Rachael Minott, a fait montre d’un leadership extraordinaire et d’une grande attention, ce qui nous a soutenus dans notre travail.

Ce travail a été réalisé au Royaume-Uni, et parle essentiellement du contexte de ce pays, mais pouvez-vous dire comment ce document de référence peut soutenir le travail de décolonisation réalisé ici au Canada, en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde?

Je pense que beaucoup des idées présentées pourront s’appliquer à des musées à travers le monde. Comme notre approche a consisté à offrir des incitations à la réflexion, à la discussion et à l’action, les possibilités ne manqueront pas pour rendre ces idées pertinentes et significatives dans votre contexte local.

Le document de référence reconnaît qu’il n’y a pas de solution unique pour décoloniser les musées; chaque établissement a la possibilité de déterminer des stratégies fonctionnant pour sa collectivité, ses collections et ceux et celles qui travaillent dans le musée et collaborent avec celui-ci. Je pense que cela est vrai partout dans le monde.

Rana Ibrahim, agente des collections à Multaka, et des bénévoles du projet accueillent des visiteurs dans l’espace de recherche du Pitt Rivers Museum. © Pitt Rivers Museum, Université d’Oxford

Quel conseil donneriez-vous à de petits établissements songeant à commencer ce travail de décolonisation, mais ne sachant peut-être pas où débuter?

Tel qu’indiqué dans la section « Beginning the Journey (Commencer le voyage) » : « La décolonisation est un voyage valable pour des personnes et des établissements, même si on a le sentiment qu’un musée décolonisé est une destination éloignée. Que ce travail soit accompli individuellement, ou avec le soutien d’un établissement, n’importe qui peut lancer le processus de décolonisation. [Traduction] »

Je conseillerais de prendre les mesures qui sont possibles pour vous, et d’établir des liens avec ceux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du musée, qui peuvent vous aider dans votre voyage. Et ne manquez pas d’utiliser ce document — il comporte de nombreux conseils pour des personnes qui ne font que commencer, et je pense que les principes de décolonisation et les mesures de décolonisation dans les musées sont d’excellents points de départ.

Comme vous le savez peut-être, l’Association des musées canadiens a presque achevé le lancement et l’analyse d’initiatives de réconciliation et de décolonisation, particulièrement en ce qui concerne la collaboration avec les peuples autochtones pour un examen national de politiques muséales et de pratiques exemplaires afin de déterminer le degré de conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de faire des recommandations. Avez-vous des idées à nous proposer alors que nous nous préparons à partager cette information au sein de notre propre secteur national?

D’après mon expérience de collaboration avec notre groupe de travail, je pense qu’il est utile d’être clair quant aux principes qui guident des initiatives telles que celles-ci, soulignant que ce travail s’enracine dans l’éthique et les valeurs. Les principes de décolonisation ont été une ressource véritablement importante à partager avec les gens — ils offrent conseils et inspiration, mais fournissent également un cadre dans lequel chacun doit prendre ses responsabilités, alors que nous nous efforçons de produire des changements à long terme.

Notre approche dans Soutenir la décolonisation dans les musées a également consisté à offrir des incitations à la réflexion et à l’action, qui peuvent être utilisées et rendues significatives dans différents contextes. Nous avons également visé à être pertinents pour tous ceux et celles qui travaillent dans les musées et collaborent avec ceux-ci, à tous les niveaux. Je pense qu’il sera important d’adapter les recommandations de façon à ce qu’elles puissent être défendues par toutes les personnes qui doivent participer à la production de changements. M

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