Sources de confiance en des temps incertains

Caroline Loewen

Afin de maintenir la légitimité et le caractère durable des institutions publiques, y compris les musées et les sites patrimoniaux, le lien de confiance demeure fondamental. À une époque où la confiance envers les institutions publiques semble aller en s’effritant, les musées continuent de jouir de la confiance des Canadiens. En effet, les données recueillies au Canada au cours des dernières décennies confirment le fait que les musées jouissent de la confiance inébranlable du public.

En 2006, un ensemble de chercheurs, d’universités et de partenaires communautaires ont lancé un projet intitulé Canadians and Their Pasts (Les Canadiens et leurs histoires afin d’explorer la relation qu’entretiennent les Canadiens avec le passé dans le cadre de leur vie quotidienne. Les résultats d’un sondage mené en 2007-2008 par l’Institute for Social Research de l’Université York dans le cadre de ce projet donnent, entre autres, un aperçu de la fiabilité des sources d’information sur le passé. Les chercheurs ont constaté qu’environ les deux tiers des répondants considéraient les musées comme très fiables. En comparaison, seuls 39 % des répondants accordaient aux livres le qualificatif « très fiables », tandis que ce pourcentage était de 32 % pour les histoires de famille et de 29 % pour les enseignants. Même les personnes qui ne fréquentent pas les musées qualifiaient ces derniers de fiables dans la même proportion que ceux qui les fréquentent. Ce sondage révélait également que le niveau de confiance était sensiblement le même parmi les divers sous-groupes sociodémographiques de la population, à une importante exception près. En effet, moins de la moitié (46 %) des Autochtones interrogés qualifiaient les musées de source d’information « très fiable », et la plupart d’entre eux faisaient plus confiance aux histoires de famille.

Des recherches similaires, menées par le ministère du Patrimoine canadien en 2016, ont montré que la confiance du public dans les musées demeurait élevée : en effet, 96 % des Canadiens estimaient alors que les musées sont des sources fiables d’information sur l’histoire. Le niveau de confiance des gens augmentait en fonction de leur niveau de scolarité. Ce sondage montrait également que les répondants autochtones, tout en reconnaissant dans l’ensemble que les musées étaient dignes de confiance (94 %), étaient plus susceptibles que les répondants non autochtones de dire qu’ils avaient « quelque peu confiance » dans les musées plutôt que « fortement confiance ».

Plusieurs événements des dernières années ont remodelé notre vision du monde : pensons entre autres aux travaux de la Commission de vérité et réconciliation, à la pandémie mondiale de COVID-19, à la mondialisation et aux inégalités croissantes, ainsi qu’à l’urgence de la crise climatique. Prises dans le tourbillon d’incertitude associée à ces bouleversements, les institutions culturelles se questionnent de plus en plus sur leur rôle et sur la façon dont elles peuvent assurer leur durabilité et demeurer pertinentes aux yeux de leurs communautés. Au cœur de toutes ces questions se trouve l’enjeu de la confiance. Alors, les musées sont-ils toujours dignes de confiance?

Repenser les musées

En 2020, l’ Association des musées de l’Alberta, en partenariat avec les associations de musées provinciales et territoriales et l’AMC, a lancé un projet national d’une durée de trois ans intitulé Repenser les musées. La première phase de ce projet, Des musées pour moi, demandait aux Canadiens : « Que signifient les musées pour vous? » Les réponses à cette question ont été recueillies dans le cadre d’une campagne de sensibilisation consistant en un sondage en ligne, un sondage d’opinion publique et des séances de dialogue virtuelles, dont certaines ont été révélées dans le numéro d’automne 2021 de Muse.

Les données recueillies lors de l’initiative Des musées pour moi ont confirmé les informations fournies par les études précédentes. Les gens se sentent à l’aise dans les musées : 94 % des personnes interrogées ont déclaré s’y sentir bienvenues, tandis que 89 % ont convenu que les musées sont des endroits sûrs. Mais surtout, le public continue de faire confiance aux musées et considère ces derniers comme des sources d’information crédibles.

Le sondage d’opinion publique a révélé que 80 % des personnes perçoivent les musées comme des sources d’information crédibles, ce qui est de loin supérieur à ce qu’obtiennent les quotidiens (48 %) et la télévision (33 %). Comme on l’a vu dans les sondages précédents, les données ont montré que les Autochtones sont légèrement moins susceptibles de faire confiance aux musées : seuls 67 % d’entre eux qualifiaient les musées de sources d’information très crédibles.

Les personnes qui fréquentent les musées ne sont pas les seules à avoir cette opinion : les recherches montrent systématiquement que même les personnes qui ne fréquentent pas les musées considèrent ces derniers comme dignes de confiance. Une étude historique de 1974, Le musée et le public canadien, révélait qu’« un grand nombre de répondants appuient fortement le concept de musée, alors que la plupart ne les fréquentent pas en réalité ». Les Canadiens apprécient donc les musées et leur accordent leur confiance, quelle que soit la fréquence à laquelle ils les visitent.

Alors, pourquoi les gens continuent-ils de faire confiance aux musées? Il se pourrait que la perception qu’a le public des musées comme des endroits sûrs, accueillants et impartiaux rende ces derniers intrinsèquement dignes de confiance. Les chercheurs de Canadians and Their Pasts affirment d’ailleurs que « la confiance envers les musées s’apparente à la foi, en ce qu’elle est à la fois méritée et conférée aux musées ». Conférée parce qu’il existe une croyance selon laquelle les artefacts parlent d’eux-mêmes, et méritée parce qu’on croit que le domaine possède ses propres chercheurs et qu’il existe un système de contrôle sur ce que ces chercheurs disent à propos des artefacts. Il semble donc que la confiance de base dont bénéficient les musées se fonde en partie sur la présence d’objets en leurs murs et sur le fait qu’on présume que des experts aux connaissances spécialisées y travaillent.

Un article de 2021 rédigé pour l’ alliance américaine des musées et intitulé « What Does it Mean to be Trustworthy » (Que signifie être digne de confiance) avançait que « la confiance est basée sur le fait que le public présume que les musées offrent des expériences sans médiation et n’interposent pas d’idées entre le public et les objets ». Il semblerait donc que la confiance du public envers les musées repose sur de fausses présomptions, et qu’elle soit même en contradiction avec la façon dont les employés des musées perçoivent le travail qu’ils accomplissent. Après tout, la plupart des employés des musées s’entendraient pour dire que les musées ne sont pas neutres et que les expériences qu’ils offrent font toujours appel à la médiation.

C’est en travaillant sans cesse à mériter la confiance de leurs communautés que les musées peuvent démontrer qu’ils sont dignes de cette confiance. Comme l’a dit un répondant au sondage Des musées pour moi, « lorsqu’ils font bien les choses, les musées peuvent être parmi les rares endroits qui conservent la confiance de la communauté ». Ce n’est que lorsque les musées commencent à tenir cette confiance pour acquise qu’ils risquent de la perdre.

Explorons plus en détail deux raisons pour lesquelles les musées sont considérés comme dignes de confiance : leurs collections et leur aspect multivocal.

Les collections

Les Canadiens se tournent vers les musées pour apprendre à connaître le monde, les objets et l’histoire de leurs collectivités. Pour les répondants au sondage Des musées pour moi, la préservation et l’apprentissage constituent les principales fonctions des musées. Or, ces deux fonctions sont liées : les musées préservent le patrimoine matériel et immatériel afin que les visiteurs puissent en apprendre davantage sur notre passé commun. Comme l’a dit un répondant, « les musées préservent les héritages communs. Ils conservent des objets et des archives comme preuves historiques. » De même, un autre répondant a déclaré que « les musées m’ont appris de nouvelles façons de communiquer. Ils m’ont appris que les objets avaient une valeur en tant que messages issus d’autres époques ou d’autres lieux. »

Les visiteurs voient donc les musées comme des lieux où ils peuvent vivre une expérience physique et intellectuelle au contact des collections, tandis que ces collections peuvent leur enseigner des choses sur leurs histoires et sur le monde naturel. Dans l’esprit du public canadien, les artefacts offrent un regard objectif sur le passé ou sur la nature. Cependant, les employés des musées savent bien que les collections ne sont des représentations objectives ni de l’un, ni de l’autre. Les artefacts, les spécimens et les histoires qu’on raconte à leur sujet ne sont pas neutres. La manière dont ces contenus sont sélectionnés, recueillis, catalogués et stockés, ainsi que la façon dont on fait des recherches à leur sujet et dont on les rend accessibles ont un impact sur la manière dont les collections sont perçues et interprétées. Les communautés sources, y compris de nombreuses communautés autochtones, ne le savent que trop bien. Si les musées sont en partie dignes de confiance en raison de leurs collections, ils doivent aussi faire preuve de transparence en ce qui concerne les personnes, les lieux et les communautés auprès desquels ils recueillent des objets, la façon dont ils le font, la manière dont les chercheurs nomment et catégorisent les objets, l’accessibilité des collections, et la façon dont ces collections sont présentées.

Multivocalité

Selon nos recherches, les musées ont le potentiel d’être polyphoniques. Les répondants ont indiqué que « les musées aident à mettre les choses en perspective, à élargir notre vision du monde et à construire une conscience historique ». Ils disent encore des musées qu’ils « me permettent de transcender ma propre expérience » et qu’ils « sont des lieux de dialogue et d’exploration des enjeux ». La perception selon laquelle les musées sont des lieux de dialogue, de questionnement et de recherche de points de vue différents contribue à la confiance manifestée envers ces institutions. Plus on inclut de voix différentes, qu’elles appartiennent à des employés de musée ou à des membres de la communauté, plus cette image devient complète et, vraisemblablement, précise. En même temps, les Canadiens veulent que les musées soient des lieux d’information fiable sur des enjeux qui comptent pour eux, comme les progrès technologiques, la diversité, l’inclusion et la réconciliation.

Il reste du travail à faire pour renforcer la multivocalité des musées. Pour 52 % des répondants au sondage Des musées pour moi, les musées doivent en faire davantage pour mieux représenter tous les Canadiens. Les musées sont perçus comme étant dignes de confiance lorsqu’ils présentent tous les aspects d’une histoire. Pour maintenir leur fiabilité, les musées doivent donc repenser leur relation avec la « vérité », mais aussi leur propre autorité. Les musées peuvent-ils laisser place à l’incertitude, à l’ambiguïté, aux récits multiples et aux points de vue différents? S’ils veulent rester pertinents et dignes de confiance, c’est peut-être justement ce qu’ils devront faire.

Conclusion

Les musées ont toujours bénéficié de la confiance du public, une confiance qui est à la fois méritée et conférée. Avec des publics toujours plus éduqués, engagés et exigeants, la pression s’accroît sur nos musées pour qu’ils méritent la confiance qui leur est accordée. Plutôt que de se reposer sur la connaissance de ce qu’ils possèdent, les musées doivent travailler sans cesse pour rester dignes de la confiance du public. M

Caroline Loewen est la responsable du projet pour Repenser les musées. Commissaire, écrivaine et professionnelle muséale à Calgary, elle souhaite aider les musées à être des endroits plus inclusifs, accessibles et mobilisateurs, où la diversité des voix et des perspectives est encouragée et valorisée.

Mme Loewen tient à remercier la Dre Victoria Dickenson, qui a fourni de nombreuses notes et références pour cet article, en plus d’assurer un soutien éditorial.

Pour de plus amples renseignements sur le projet Repenser les musées et l’initiative Des musées pour moi, visitez https://www.museumsforme.ca

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