Des bénévoles organisés par BC HERN et la BCMA sont venus de musées de toute la province pour aider après que des incendies de forêt ont rasé deux musées à Lytton, B.C. en 2021. Photo — BC HERN

Survivre aux tempêtes

Peter Simpson

Si tous les nuages sombres et dangereux causés par le changement climatique comportent un aspect positif, c’est que ces manifestations brutales de cette menace croissante ont incité les musées à modifier la façon dont ils se préparent aux pires scénarios.

Les inondations de 2013 et les incendies de 2016 ont amené l’Association des musées de l’Alberta (AMA) à élargir la portée du programme provincial de soutien en cas de catastrophe, peut-être le meilleur au Canada, afin d’aider les musées à la fois à se préparer au pire et à réparer les dégâts.

« Nous nous sommes demandé comment les musées pourraient être mieux préparés à faire face à ces types de catastrophes, compte tenu de tout ce qui se passait, puisque nous constations que des catastrophes qui se produisaient généralement tous les 100 ou 50 ans survenaient de plus en plus souvent, explique Jennifer Forsyth, directrice générale de l’Association des musées de l’Alberta. Nous avons pris conscience que les musées devaient être mieux préparés. Maintenant, l’une des choses que nous demandons à nos institutions membres, c’est d’élaborer un plan d’urgence. »

En Alberta, l’institution qui a fait face aux pires catastrophes est probablement la Société du patrimoine de Fort McMurray, victime d’une inondation et d’un incendie. Les travaux de restauration effectués au Village patrimonial ont été considérables : on a soulevé des bâtiments pour les replacer sur des fondations plus solides, aménagé un talus pour contenir les eaux de crue et creusé un bassin de retenue pour détourner les eaux pluviales destructrices.

Dans un billet de blogue publié par l’AMA en 2020, Roseann Davidson, directrice générale de la Société du patrimoine, déclare : « Le débordement de la rivière Hangingstone survenu en juin 2013 a ravagé le Village patrimonial. Nous nous demandions alors comment le musée pourrait reprendre un jour ses activités. Les dommages subis par les bâtiments, l’infrastructure, les collections et les archives dépassaient notre entendement. »

Il y a eu dommages considérables aux collections du musée à Lytton (C.-B.), en 2021 lors des feux de forêt. Photo — BC HERN

Comme le précise Mme Davidson dans une vidéo accessible sur le site web de l’AMA, treize ouvrages du Village patrimonial ont subi des « dommages importants » lors de l’inondation. Le village et le chantier naval patrimonial voisin s’apprêtaient à rouvrir leurs portes en 2016 lorsque le feu de forêt « a brisé les rêves de rouvrir les musées au public ». L’incendie en soi a causé peu de dommages aux ouvrages de la société, mais la suie a gravement abîmé les collections et « la dévastation entraînée par cette catastrophe naturelle a durement touché les installations et le personnel du musée ainsi que les entrepreneurs ».

À l’instar d’autres organisations, l’AMA travaille souvent en collaboration avec l’Institut canadien de conservation. Elle met à la disposition des musées d’abondantes ressources en ligne pour faciliter leur préparation et leur reprise. En outre, l’Association a publié à l’intention des musées un guide de préparation aux urgences de 330 pages qui renferme des sections consacrées à la planification, à la préparation, aux interventions et au rétablissement. Par exemple, déclare Jennifer Forsyth, à Fort McMurray, « en plus de nous pencher sur le financement des institutions pour les besoins liés à leur rétablissement, nous avons exploré des moyens de les aider à prévenir les catastrophes à l’avenir. »

Pendant ce temps, dans la province voisine — en Colombie-Britannique —, le Musée et Service d’archives ainsi que le Musée d’histoire chinoise de Lytton ont été réduits en cendres lors de l’incendie qui a détruit le village de Lytton le printemps dernier. Il s’agit de pertes énormes sur le plan patrimonial et historique.

Les incendies et les inondations qui ont dévasté la Colombie-Britannique en 2021 « nous ont véritablement aidés à comprendre où concentrer nos efforts, car tout le monde sait aujourd’hui que ces catastrophes peuvent se reproduire chaque année, explique Heidi Swierenga, restauratrice principale et cheffe de la sauvegarde des collections au Musée d’anthropologie de l’Université de la Colombie-Britannique. Il est difficile de se faire à cette idée, mais nous subissons actuellement beaucoup plus souvent des inondations qui se produisaient d’ordinaire tous les 100 ans ».

Signature d’un protocole d’entente entre la B.C. Museums Association et le BC HERN en 2019, avec le directeur général de la BCMA, Ryan Hunt (à droite de la bannière) et Heidi Swierenga (aux côtés de Ryan Hunt, en arrière-plan), membre du comité directeur du HERN et conservatrice principale et responsable des services et de l’accès aux collections du Musée d’anthropologie de l’université de la Colombie-Britannique. Photo — BCMA

D’après Mme Swierenga, qui siège au comité directeur de BC HERN [réseau d’intervention d’urgence du patrimoine de la Colombie-Britannique], nouvel organisme dirigé par des bénévoles, « cette situation semble être ce qui donne pour l’heure aux établissements un puissant élan ».

« Nous sommes passés à l’action parce que la province n’avait prévu à l’intention du secteur patrimonial aucune intervention structurée en cas d’urgence localisée ou de catastrophe de grande envergure. Mais, à l’heure actuelle, […] les gens prennent davantage conscience du problème. Puisque nous sommes témoins de la disparition de villes entières, tout cela semble plus réel. Ainsi, les gens sont portés à faire valoir auprès de leur conseil d’administration et de leurs administrateurs que la planification des mesures d’urgence, notamment en cas de catastrophe, est importante pour les institutions. »

D’après Ryan Hunt, qui habite tout près de Victoria, l’hiver en cours est le plus froid depuis 50 ans. « À proprement parler, je suis bloqué dans ma maison, qui est en ce moment ensevelie sous la neige », a-t-il affirmé un jour où la température avait chuté à moins 14 °C, soit près de 20 degrés sous la moyenne enregistrée pour Victoria en janvier.

down, it seems more real, and people are using that as an impetus to make an argument to boards and administrators that disaster and emergency planning is important for institutions.”

Certains artefacts et spécimens de l’exposition Planète glace : mystères des âges glaciaires, lancée par le Musée canadien de la nature en 2020 et actuellement en tournée en Amérique du Nord, pourraient ne pas être inclus dans les petits établissements où les contrôles environnementaux sont insuffisants ou dépassés. Photo — CMN

M. Hunt, directeur général de l’Association des musées de la Colombie-Britannique (AMCB), souligne d’autres anomalies. Il raconte qu’une tornade s’est récemment formée au-dessus de Vancouver, ce qui constitue un phénomène pratiquement sans précédent : « Je pense que tous ceux qui exercent des activités dans le secteur, peu importe le type d’institution, repensent maintenant à ce que signifie “être prêt à faire face aux urgences” et réinventent cette façon de procéder, stimulés en particulier par la destruction des deux institutions à Lytton. »

Selon M. Hunt, dans une perspective à court terme, l’AMCB collabore avec Heritage BC pour s’assurer que BC HERN aura accès à un financement lui permettant d’intervenir sans tarder en cas d’urgence. Dans une perspective à long terme, l’Association discute de préparation aux urgences avec ses membres et tous les ordres de gouvernement — un besoin particulièrement criant pendant la crise de la pandémie et celle du changement climatique, qui se chevauchent.

« La combinaison de ces deux situations réduit réellement la résilience de notre secteur, ajoute M. Hunt. Le taux de stress et d’épuisement professionnel est à son comble. Par conséquent, lorsqu’une institution est frappée par un événement lié à la météo, elle ne peut plus l’absorber comme elle l’aurait fait auparavant, à l’époque où elle avait l’énergie ou les fonds nécessaires pour y faire face. »

Si l’Alberta et la Colombie-Britannique sont les provinces les mieux outillées en matière de préparation aux urgences et de plans d’intervention, c’est parce qu’elles ont eu le malheur de subir les pires répercussions d’un environnement naturel en mutation. Toutefois, d’autres provinces sont touchées elles aussi. Partout au Canada, on tire des leçons de pertes similaires.

« En raison du nombre d’incendies qui se déclarent dans l’ensemble du Canada et aux États-Unis, il s’agit d’un sujet dont nous avons discuté, simplement du fait que nous exploitons un très vaste lieu historique qui peut devenir très sec pendant l’été », déclare Mary Baruth, directrice générale de Kings Landing, village historique vivant situé au bord du fleuve Saint-Jean, au sud-ouest de Fredericton, au Nouveau-Brunswick.

Dans le cadre d’un projet organisé par le BC HERN et la BCMA, des bénévoles sont venus de musées de toute la province pour prêter main-forte après que des feux de forêt aient rasé deux musées à Lytton (C.-B.), en 2021. Photo — BC HERN

Ce village compte des dizaines de bâtiments historiques, dont certains datent de 1795. À une exception près, tous ces bâtiments sont construits en bois. L’institution a récemment procédé à une évaluation de ses immobilisations et élaboré un plan de réfection des bâtiments, si bien que les responsables savent exactement quels sont leurs points faibles et les mesures à prendre pour protéger les bâtiments et les artéfacts qui s’y trouvent. L’institution améliorera son plan d’urgence en 2022 pour « se préparer à toute forme de catastrophe naturelle pouvant être occasionnée par le changement climatique ».

Les préoccupations environnementales orientent même les rénovations ou la construction de nouveaux bâtiments. Jusqu’à présent, le Musée maritime des Grands Lacs, situé à Kingston, en Ontario, a échappé en grande partie aux dommages liés au changement climatique, mais le toit d’un bâtiment a été emporté l’an dernier et 2,5 mètres de rive ont été perdus par suite d’une inondation. D’après le directeur, Doug Cowie, les rénovations imminentes seront dictées en partie par la volonté de « contribuer aux efforts de lutte contre le réchauffement planétaire ».

« Quels que soient les travaux de reconstruction, les rénovations, etc., envisagés, nous privilégions autant que possible la solution la plus écologique qui soit, explique M. Cowie. C’est ce que nous tentons tous de faire actuellement dans l’ensemble de nos activités. »

Mme Baruth, de Kings Landing, abonde dans le même sens : « Nous procédons aux rénovations en cours de la façon la plus écologique possible » et « tout ce que nous faisons à l’heure actuelle et toutes les mesures de modernisation que nous apportons respectent les normes pour prendre en compte les phénomènes météorologiques extrêmes ».

Les tendances météorologiques ont aussi des répercussions sur les expositions itinérantes et le prêt d’œuvres.

« Comment aurons-nous la certitude de pouvoir contrôler d’autres environnements, en particulier si le taux d’humidité et les températures augmentent à l’avenir? », demande Alisa Barry, vice-présidente, Expérience et engagements, au Musée canadien de la nature, à Ottawa.

L’exposition Waterscape du Musée de la nature qui a fait l’objet d’une vaste tournée en 2009. Les expositions itinérantes connaissent des changements alors que la chaleur extrême nuit aux contrôles environnementaux dans de plus petits établissements. Photo — CMN

Il y a eu au moins une fois où une exposition n’a pu être présentée dans un immeuble, « parce qu’il n’était pas doté d’hygrostats et que les conditions météorologiques inhabituelles aggravaient le problème », explique Mme Barry. « Les musées avaient l’habitude d’organiser d’office des expositions itinérantes pour présenter leurs spécimens, mais il ne fait aucun doute qu’ils poussent maintenant plus loin cette vaste réflexion et évaluent attentivement les risques en jeu. »

Les dommages psychologiques s’ajoutent aux dommages matériels engendrés par le changement climatique. Selon Jennifer Forsyth, l’Association des musées de l’Alberta fait équipe avec les Services de santé de la province pour offrir « des premiers soins psychologiques » au personnel des musées dans les zones sinistrées.

« Du point de vue d’une personne qui discute au téléphone avec des gens pour les amener à verbaliser ce qu’ils ressentent face à ces tragédies, ce fut vraiment utile, ajoute Mme Forsyght. Nous vivons une période où nous faisons face à des tragédies à répétition et où ces catastrophes naturelles se produisent encore et encore. À notre avis, c’est vraiment à l’interne qu’il faut se préparer aux émotions que l’on éprouve lorsqu’une tragédie survient. » M

Peter Simpson, auteur spécialisé dans le domaine des arts et de la culture depuis de nombreuses années, travaille à partir de son domicile, au centre-ville d’Ottawa, où il est entouré d’une multitude d’œuvres d’art.

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