Vers l’ère de l’IA dans les musées

Dnyanesh Kamat

visual representation of AI technology

Des analyses de l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) générative dans diverses industries sont passées d’un optimisme débridé à la crainte de pertes d’emplois généralisées et de la destruction éventuelle de la planète. Certains ont dit qu’avec le changement climatique, un essor de l’IA non réglementé est la prochaine plus grande menace à la civilisation humaine. Même les dirigeants du concepteur de ChatGPT, OpenAI, un leader de l’IA, ont eux-mêmes réclamé une plus grande régulation de l’industrie par le gouvernement (bien que des cyniques affirment qu’ayant eu un démarrage précoce dans l’IA, ces entreprises de technologie veulent maintenant que le gouvernement impose des obstacles draconiens à l’entrée de nouvelles compagnies). Il y a deux points à soulever relativement à l’IA générative. D’abord, nous en sommes probablement à un stade en matière d’IA analogue au stade de l’accès commuté à Internet à la fin des années 1990. En second lieu, les deux points de vue sur l’IA semblent valables – que l’IA non réglementée est nuisible, alors que « l’IA pour le bien commun » peut apporter de nombreux bienfaits à la société. Compte tenu de cela, ce serait probablement une bonne idée pour les musées canadiens d’éviter de « faire l’autruche » alors que d’autres secteurs adoptent l’IA sans réserve. Bien sûr, certains musées dans le monde ont déjà commencé à utiliser l’IA dans diverses parties de leurs opérations. Regardons ce qui est positif – comment les musées peuvent-ils exploiter l’IA générative?

Les musées peuvent utiliser l’IA pour améliorer la conservation et l’expérience de leurs visiteurs. Le Dr Naimul Khan, de l’Université métropolitaine de Toronto, affirme : « L’IA a été surtout utilisée pour enrichir l’expérience muséale au cours des dernières années. Avec le Musée des sciences et de la technologie du Canada, mon labo de recherche a créé des applis mobiles pouvant automatiquement reconnaître un objet particulier exposé lorsque le téléphone est pointé dans sa direction, et superposer une information pertinente à l’écran. » Bien qu’intégrer l’IA à l’expérience des visiteurs du musée puisse constituer une intéressante évolution de la pratique des conservateurs, cela soulève d’évidentes questions éthiques à propos de la vie privée, du consentement, et de la capacité de l’IA de capter une information telle que le genre, l’âge, la race et tout l’éventail d’émotions affichées par les visiteurs. Les êtres humains sont complexes – l’IA peut-elle vraiment pénétrer nos esprits, et dans l’affirmative à quelle fin? En outre, l’IA peut-elle se substituer aux conservateurs de musée expérimentés, dont certains aspects du travail ne pourront jamais être remplacés par l’IA – l’expérience vécue et l’émotion.

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Une solution de rechange à l’intégration de l’IA dans la conservation et l’expérience des visiteurs consisterait à l’utiliser comme une sorte d’assistant virtuel ou de copilote. Le Smithsonian Museum, par exemple, emploie Pepper, un robot humanoïde, pour personnaliser l’expérience des visiteurs en leur posant des questions et en leur fournissant une information personnalisée sur les expositions. Tate a établi un partenariat avec Microsoft pour créer Recognition, un jeu qui associe des œuvres d’art à des images de photojournalisme. L’appli Arts & Culture de Google utilise la reconnaissance faciale pour associer un égoportrait à des œuvres d’art, offrant au visiteur une expérience unique et attrayante.

Quand il s’agit de diriger un musée, l’IA peut jouer un rôle en atténuant un des points les plus douloureux pour de nombreux musées canadiens – la capacité et les restrictions budgétaires. « Avec l’avènement de l’IA générative, affirme le Dr Khan, il est possible de réaliser une recréation virtuelle plus vraie que nature d’espaces patrimoniaux. Un aspect que peuvent intégrer les musées canadiens est la création d’expériences visuelles plus immersives utilisant l’IA et la réalité virtuelle. »

Les musées peuvent également exploiter les prouesses de l’IA générative dans l’analyse prédictive et l’utiliser pour déployer des ressources de façon plus optimale pendant la haute saison. Utilisée éthiquement, l’IA peut aider les musées à organiser des expositions et à améliorer les expériences des visiteurs pour les rendre plus pertinentes pour les communautés diverses du Canada. L’IA peut être employée dans la préservation et la restauration, lorsque des algorithmes d’IA peuvent prédire la détérioration d’un objet, ce qui permet de réduire, voire d’éviter, des coûts de restauration de dernière minute. Les musées peuvent également utiliser l’IA pour améliorer leur durabilité climatique en optimisant les coûts des services publics. Enfin, l’IA peut récolter d’énormes quantités de données sur les donateurs pour créer des stratégies de levée de fonds personnalisées. Le fait que l’IA peut être une force pour le bien commun y est lié – les musées peuvent exploiter l’IA pour avoir une meilleure idée de leurs sources de financement et mieux les contrôler.

Les petits musées, en particulier, sont souvent confrontés à des défis en matière de capacité lorsqu’ils tentent de déployer leur personnel pour des initiatives stratégiques. L’IA peut automatiser les tâches routinières, permettant au personnel de se concentrer sur l’amélioration des expositions et des programmes. Les musées peuvent également utiliser l’IA comme guide lorsqu’ils remplissent la paperasserie gouvernementale. L’American Alliance of Museums (AAM), par exemple, a discuté du potentiel de l’IA dans l’accréditation des musées. Utiliser l’IA de façon systématique libérerait les employés, et garantirait également une meilleure exactitude et une meilleure cohérence des données fournies, et donc une amélioration de la crédibilité qualitative.

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Les musées devront participer à des dialogues à l’échelle de la société sur l’éthique relativement à l’IA. Le Dr Khan souligne quelques aspects dont les musées devraient être conscients lorsqu’ils utilisent l’IA : « On sait que des outils de droits d’auteur tel que Midjourney et Stable Diffusion utilisent du matériel protégé pour concevoir leurs modèles d’IA. » Sur les préjugés sociaux : « Les outils d’IA présentent de nombreux préjugés sociaux et culturels intrinsèques, particulièrement lorsque l’IA est utilisée pour des espaces patrimoniaux. Il est important d’évaluer et d’affiner de façon critique les images et les vidéos générées par l’IA. »

Au Royaume-Uni, un projet de recherche d’un an financé par le gouvernement a lancé ces dialogues, résultant en la création d’un AI Museum Planning Toolkit. D’abord, les lignes directrices en matière d’éthique pour les musées devront être assez dynamiques pour rester en phase avec le rythme rapide de l’innovation en matière d’IA. Lorsque les musées collectent des données sur les visiteurs pour optimiser leurs opérations et enrichir l’expérience des visiteurs, ils doivent solliciter un consentement éclairé, garantir une stricte confidentialité des données et dépersonnaliser celles-ci dans la mesure du possible. Cela signifie également que les musées devront faire preuve de transparence sur la manière dont ils utilisent l’IA, et devront réduire l’opacité des algorithmes. Les musées devront effectuer un test de tension de leurs systèmes d’IA pour garantir qu’aucun préjugé ne se cache au sein des algorithmes et des données de formation. Ils devront également concevoir un moyen de faire en sorte que les avantages de l’adoption de l’IA profitent à tout le monde, c’est-à-dire que les normes d’accessibilité devront être intégrées aux stratégies d’adoption de l’IA des musées. Enfin, les musées doivent faire en sorte qu’une formation en IA soit offerte à tout le personnel du musée, pour que l’adoption de l’IA ne conduise pas à des scénarios catastrophes de licenciements massifs et de la création d’une élite de la haute technologie au sein du secteur.

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Les musées ne peuvent le faire seuls. Des cadres programmatiques, financiers et réglementaires doivent être créés par des organisations du secteur ainsi que par le gouvernement. Le tout premier instrument normatif mondial sur l’éthique de l’IA de l’UNESCO, lancé en 2021, est un point de départ utile. L’Association des musées canadiens est actuellement en train de lancer une stratégie pluriannuelle pour mettre à jour ses lignes directrices en matière d’éthique, qui comporteront un volet IA. Cependant, l’appui du gouvernement est également essentiel si les musées doivent utiliser l’IA de façon sûre et éthique. Le gouvernement du Canada est un précurseur à cet égard, ayant lancé la Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle en 2017, laquelle vise à favoriser la commercialisation de l’IA, à améliorer la recherche et le développement, et à établir des normes pour l’utilisation de l’IA. Cette stratégie, ainsi que la Politique muséale nationale actuellement en cours d’élaboration au ministère du Patrimoine canadien, doit fournir un cadre réglementaire qui établisse des normes minimales pour l’utilisation de l’IA par les musées. Ceux-ci auront également besoin de subventions propres à l’IA distinctes des subventions pour les programmes réguliers, pour les rendre prêts à l’utilisation de l’IA. Enfin, le gouvernement devra prendre l’initiative dans l’élaboration de plateformes où les musées et les établissements du patrimoine pourront en apprendre davantage sur les pratiques exemplaires en matière d’IA, non seulement au Canada, mais aussi auprès de leurs pairs dans le monde.

Au moment où nous naviguons vers un futur de plus en plus numérisé, l’influence de l’IA dans les musées s’accroîtra et se transformera continuellement. En exploitant les capacités de l’IA et en maintenant un engagement ferme à l’égard des considérations éthiques, les musées peuvent s’équiper en vue de l’avenir tout en sauvegardant le passé. La capacité des musées de mettre en œuvre l’IA de façon éthique chez eux, et l’appui du gouvernement et du secteur, détermineront clairement la réussite de leur parcours d’innovation.

Dnyanesh Kamat, gestionnaire principal – Défense des intérêts à l’AMC, est un expert en matière de stratégie et de politiques dans les industries créatives et culturelles (ICC). Il a travaillé dans les secteurs gouvernemental et privé, se focalisant sur la croissance de l’ICC, la diversification économique et l’innovation.

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