Examen de la gouvernance dirigée par les Autochtones dans les espaces patrimoniaux

Stephanie Danyluk

Wanuskewin Heritage Centre in the Winter.

Wanuskewin Heritage Centre dans l’hiver. Photo — Ashley George.

Les Autochtones gèrent leur patrimoine depuis la nuit des temps. Le confinement, le contrôle et la destruction des peuples autochtones et de leur patrimoine comportait l’appropriation généralisée de restes ancestraux, de biens culturels et de connaissances traditionnelles, comme le démontre la section Considérations historiques du rapport Portés à l’action.

La gouvernance dans les espaces administrés par les Autochtones réagit souvent aux conditions coloniales, tout en s’inspirant des valeurs culturelles des communautés devant lesquelles ils sont responsables. L’examen de la façon dont la gouvernance autochtone est mise en œuvre dans trois espaces patrimoniaux autochtones – le Haida Gwaii Museum, le Wanuskewin Heritage Centre et le Woodland Cultural Centre – démontre que, bien qu’il n’existe pas de modèle pour mettre en œuvre la gouvernance autochtone, ces lieux ont tous une propension à concentrer cette responsabilité en priorité sur une multitude de relations et de responsabilités communautaires, notamment la culture, la langue, la terre et les cérémonies.

Contexte historique entourant la création

Les organisations politiques et communautaires autochtones passant à l’action dans la deuxième moitié du XXe siècle, le contrôle colonial a été combattu par une vague d’activisme, de travaux universitaires et de poursuites judiciaires revendiquant l’autodétermination des Autochtones en ce qui concerne leur patrimoine culturel. La Fraternité nationale des Indiens (FNI) a été le chef de file du mouvement pour le contrôle par les Autochtones de leur propre éducation, avec comme élément central l’importance des Centres culturels. Ce mouvement a eu pour fruit l’officialisation des centres culturels dans l’ensemble des nations autochtones, y compris du Woodland Cultural Centre, qui a été créé en octobre 1972 sous l’égide de l’Association of Iroquois and Allied Indians après la fermeture de l’Institut Mohawk, Pensionnat indien (IM).

De même, la Nation haïda a réaffirmé son autodétermination en matière de patrimoine culturel par le biais du Haida Gwaii Museum. Avec en toile de fond l’affaire Calder, une décision juridique majeure concernant l’existence du titre indien, ainsi que d’autres causes clés portant sur les territoires et les droits débattues devant les tribunaux, le musée a été créé par le biais d’un partenariat entre des habitants autochtones et non autochtones de Haida Gwaii. Le musée a ouvert ses portes en 1976. L’affirmation par les Haïdas de leur autodétermination  sur leurs biens culturels et leurs ancêtres, lesquels, à l’époque, continuaient d’être retirés de leurs terres, a été au cœur de sa création.

L’affirmation croissante des droits inhérents et issus de traités dans les Prairies, ainsi que le désir de promouvoir une compréhension et des partenariats interculturels entre les Autochtones et les non-Autochtones sont à l’origine de la création du Wanuskewin Heritage Park. Bien que le projet ait été initié par des organismes fondateurs non autochtones, l’implication des peuples des Premières Nations a été fondamentale. Les discussions ont commencé avec l’influent Hilliard McNab, un leader respecté et ardent défenseur de la gouvernance des Autochtones et des droits issus des traités. Un autre leader important a siégé au premier Conseil des aînés, l’Aînée et sénatrice Philomene Gamble, qui a été invitée à participer au Conseil pour ses années de défense de l’autonomie gouvernementale des Autochtones, de leur éducation et des droits des femmes autochtones.

La gouvernance dirigée par les Autochtones aujourd’hui

Aujourd’hui, la gouvernance au Woodland Cultural Centre met l’accent sur les principes de réciprocité et de transfert intergénérationnel des connaissances. Selon Janis Monture, qui en a été longtemps la directrice exécutive, les valeurs fondamentales de Woodland s’inspirent des enseignements culturels primordiaux de Hodinohsho:ni, les traditions entourant la longue maison ayant été adoptées comme approche par le Conseil d’administration. « La gouvernance idéale étudie et utilise les traditions de ceux qui administrent l’espace », affirme Monture.

Dès les débuts, le Conseil d’administration de Woodland était entièrement composé de membres des Premières Nations. Les documents de politique et d’orientation utilisent tous une terminologie et un langage adapté à la culture. Par exemple, les protocoles d’entente sont tous rédigés en mohawk et en anglais. Les pratiques et traditions de Hodinohsho:ni sont reflétées dans le processus décisionnel du Conseil basé sur le consensus.

Le chevauchement des responsabilités est intégré à la gouvernance de Woodland, et comprend la nécessité de rendre compte aux gouvernements élus et traditionnels,  à  la Confédération ainsi qu’aux gardiens de la foi et à la communauté.

Le chevauchement des responsabilités avec différents systèmes de freins et de contrepoids exige des compétences culturelles, car beaucoup d’entre eux sont transmis oralement, explique Monture. Les traditions orales sont présentes dans la gouvernance de Woodland, une grande partie d’entre elles impliquant une spiritualité et des aspects des connaissances cérémonielles qui ne « sont pas écrits mais enracinés dans notre culture, explique Monture. Tout est lié. Cela exige du temps, un engagement continu et la réciprocité. Les relations communautaires ne sont pas seulement des relations gouvernementales. »

La gouvernance du Haida Gwaii Museum est basée sur le mode de vie des Haïdas, particulièrement la diplomatie culturelle rigoureuse des Haïdas, qui ont le « mandat absolu d’établir des relations basées sur le respect mutuel, la coopération et la confiance », comme l’explique le directeur exécutif Nika Collison.

Leur approche comprend la codification de Xaayda Ga Xaaynang.ngaay, le mode de vie haïda, pour orienter la gouvernance et les opérations du musée. Collison précise que ce ne sont pas des lois « mais plutôt des valeurs auxquelles nous aspirons ». En ce qui concerne particulièrement la gouvernance, Collison cite Everything Depends on Everything Else et Seeking Wise Council – une prise de décision collective éclairée qui exige de comprendre toutes les relations et les responsabilités, et la compétence de savoir où aller pour avoir des conseils. Collison décrit le processus de « haïdaisation » du musée, comme le fait de passer « des politiques aux protocoles ».

En vertu de son mandat, le Conseil d’administration du musée est composé à égalité de directeurs haïdas et non autochtones. Leur conception de la gouvernance dirigée par les Autochtones est basée sur la collaboration et le partenariat entre groupes autochtones et non autochtones, reconnaissant que la responsabilité de protéger et honorer le patrimoine incombe à tous.

Le Haida Gwai Museum doit rendre des comptes à de nombreux gouvernements et groupes dont les compétences se chevauchent. Cela inclut des responsabilités officielles envers le Council of the Haida Nation, la House of Assembly, et les citoyens et chefs héréditaires haïdas, ainsi que les comités sur la langue et le rapatriement.

La « haïdaisation » est réalisée parallèlement à des projets de décolonisation, et Collison fait remarquer qu’il est indispensable de connaître les systèmes juridiques et réglementaires canadiens pour pouvoir naviguer à travers ceux-ci, les repenser et les remplacer par des approches haïdas.

Créé comme un lieu d’intendance culturelle pour les futures générations, Wanuskewin s’est doté d’un concept élargi d’intendance, qui est au cœur même de sa gouvernance, et qui inclut l’éducation dans le cadre de la décolonisation. Cy Standing, membre du Conseil des aînés de Wanuskewin, explique : « Pendant longtemps, nous avons été cachés. Nos histoires, en dehors de la colonisation, n’étaient pas racontées. »

Les instances dirigeantes de Wanuskewin sont responsables envers les communautés qu’elles représentent, notamment les communautés autochtones urbaines et celles vivant dans des réserves. La directrice générale, Darlene Brander, déclare : « Je travaille ici comme intendante pour honorer le passé, prospérer dans le présent et bâtir notre avenir. Je travaille ici, sachant qu’un patrimoine sera laissé à la génération actuelle et aux suivantes.»

Le Conseil d’administration de Wanuskewin, constitué de directeurs autochtones et non autochtones, reçoit des conseils de base de la part du Conseil des Aînés. La présidente du Conseil, Candace Wasacase-Lafferty, explique que le Conseil d’administration de Wanuskewin, les Aînés et les cadres travaillent ensemble pour promouvoir le leadership autochtone. En tant qu’espace administré par la communauté, « c’est un endroit où nous connecter à nos ancêtres, et le renouvellement du parc est notre renaissance », déclare Wasacase-Lafferty.

Les modèles de gouvernance dans ces divers lieux ont été élaborés en partie en réaction au colonialisme, et en partie pour refléter les traditions culturelles fondamentales des communautés autochtones qu’ils représentent. Le contexte historique qui sous-tend la gouvernance des espaces patrimoniaux par les Autochtones est une convergence de la préservation et de la pérennité du savoir culturel, de l’histoire, de l’affirmation des droits et de l’autodétermination des Autochtones, ainsi que des projets de décolonisation en réponse aux politiques et pratiques coloniales qui existent depuis longtemps et perdurent encore aujourd’hui. Aujourd’hui, la gestion par les Autochtones des espaces consacrés au patrimoine nous permet de mieux appréhender l’équilibre en ce qui a trait à la responsabilité, la réciprocité et la compétence culturelle que requiert la gouvernance par les Autochtones

Stephanie Danyluk est gestionnaire de la réconciliation à l’AMC. Elle soutient le travail visant à répondre à l’appel à l’action no 67 de la CVR et à promouvoir l’autodétermination autochtone dans les musées et les espaces patrimoniaux.

Avec la participation de : Darlene Brander, Candace Wasacase-Lafferty, Vance McNab, Ernie Walker, Cy Standing, Nika Collison, Janis Monture.

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